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Ronsard, des prosateurs comme Montaigne. Il lui suffisait enfin de prêter l’oreille aux conversations, qui se tenaient autour de lui, pour avoir le goût précoce des idées générales, pour se tourner d’instinct vers les considérations élevées. Sur la terrasse de la Combe, en face du massif de la Grande Chartreuse, le premier communiant qu’il était alors put entendre Mgr  Dupanloup agiter les grands problèmes et se passionner pour les causes les plus désintéressées. En ce temps-là, le groupe des catholiques libéraux qui entourait l’illustre évêque d’Orléans était déjà bien éclairci. On n’y voyait plus ni Montalembert, ni Lacordaire, ni le Père Gratry, ni l’abbé Pereyve. Mais, vers la fin de l’été, à l’automne, au temps des vacances, on y rencontrait une petite troupe de pèlerins spirituels, qui jouaient déjà, ou devaient jouer dans le monde, un rôle plus ou moins éclatant : les abbés Foulon et Dadolle, celui-ci qui devint plus tard évêque de Dijon, celui-là qui mourut cardinal et archevêque de Lyon, et, parmi les jeunes clercs qui suivaient leur chef, l’abbé Henri Chapon, l’actuel évêque de Nice, qui était alors le secrétaire de l’éminent prélat et qui nous a donné sur ces conciliabules, à la fois chrétiens et platoniciens, des souvenirs pleins d’émotion et de poésie : Les Mémoires de la Combe. Du côté laïque, c’étaient les Grabinssey, les Léon Lefébure, les Récamier, les De la Combe, les Gouraud (le frère du glorieux général), — âmes enthousiastes que soulevait la parole du grand vieillard, lorsqu’il dressait devant eux l’image d’une France régénérée, redevenue, au nom du Christ, l’émancipatrice des peuples et des intelligences.

De la terrasse du château, où s’élevaient, le soir, ces éloquents et parfois lyriques entretiens, on apercevait dans l’ombre le massif de la Grande-Chartreuse. Le ciel était plein d’étoiles. Des souffles qui avaient passé sur les torrents et sur les neiges éternelles, dilataient les poitrines. Et quand le vieil évêque emporté par la fougue de l’inspiration, tendait son doigt vers les espaces constellés, on voyait le ciel s’ouvrir réellement, en cette minute-là, et l’on y entrait avec lui, dans tout l’éblouissement de sa parole…

L’enfant Robert de la Sizeranne qui écoutait, sans bien les comprendre, ces paroles magnifiques, — immobile, blotti dans un coin de ténèbres, — en a gardé une impression ineffaçable. Bien avant que Ruskin l’entraînât vers sa u Religion de la