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pour n’avoir eu besoin d’aucun stimulant ni d’aucun guide, — il n’en est pas moins curieux de rechercher quelles circonstances l’ont aidée à prendre conscience d’elle-même et à se développer dans toute sa puissance. C’est ce que l’on voudrait tenter ici.


Pour quelqu’un qui considère la Beauté comme la manifestation la plus haute de la Vie, il n’est pas indifférent d’être né à la campagne, c’est-à-dire en pleine nature, dans un milieu où les paysages ont été jusqu’à un certain point respectés par l’industrialisme moderne, où le type humain a été moins déformé que dans les villes par le labeur de l’usine, ou par les vices, par tout l’artificiel et tout le mensonge débilitant des vieilles civilisations. Les caractères y sont aussi plus vigoureux, plus tranchés que dans les milieux mondains des grandes capitales, ou des grands centres civilisés, où, pour les yeux de l’homme naturel, l’homme de vérité et de beauté, les pâles vivants, exténués par un raffinement ou par une mollesse extrême, ont toujours l’air à bout de souffle. Ici, pourrait-on dire en entrant dans certains salons ou dans certains cénacles parisiens, ici expire le flot de la vie…

M. Robert de la Sizeranne devant être l’homme de l’œuvre qu’il a écrite, a eu la chance non seulement de naître provincial, mais de naître campagnard. Cela se sent tout de suite aux qualités robustes de son caractère, de son tempérament d’écrivain et de sa pensée. Très indépendant au fond, homme libre essentiellement, attentif à l’évolution des idées modernes, prêt à suivre toute nouveauté, tout changement qui lui paraît justifié, en un mot tourné intrépidement, même avidement, vers l’avenir, il est aussi un homme de tradition et d’autorité, comme on doit l’être quand on est un rejeton dru et fort de vieille souche provinciale, qui sait tout le prix du passé et aussi de quel prix s’achète la liberté. Cette ascendance rurale et provinciale se trahit encore, en M. de la Sizeranne, par le goût évident de l’ordre, de la mesure, de la sobriété, par l’horreur de tout vain luxe, du colifichet en art comme dans la vie, de tout ce qui est pure ostentation, réclame, besoin maladif d’éblouir le voisin. Et, avec cela, il est bien le descendant d’une race de maîtres habitués à commander. Son style a