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avec celui qui parlait, on s’exaltait, on se sentait plein de ferveur pour des choses très nobles et très belles.

Cette impression qu’on éprouvait en écoulant M. Robert de la Sizeranne, c’est celle même que nous avaient donnée ses livres.

Quand on a lu Ruskin et la religion de la Beauté et quand on essaie de se recueillir après sa lecture, on croit voir surgir un grand paysage bleu et or, plein de lumière et de sérénité, comme ceux qui se découvrent subitement au tournant d’une route en corniche, ou du sommet d’un col, dans les hautes montagnes. Les plus beaux édifices de la terre s’y mirent dans des fleuves ou dans des lacs, se suspendent aux flancs de collines dorées ou couronnées de pins, — et l’on sait d’avance que les plus belles œuvres de l’art s’abritent sous ces architectures groupées par le plus subtil et le plus averti des éclectismes. Mais ce splendide paysage n’est pas plus méditerranéen qu’il n’est septentrional. Ces montagnes sont celles de l’Apennin, mais elles pourraient être aussi bien celles de l’Engadine. Cette magnifique pelouse est peut-être lombarde, à moins qu’elle ne soit oxfordienne. Et quant à toutes ces architectures, ces œuvres d’art, ces tableaux, ces statues qui décorent le paysage, elles finissent par perdre, sous le regard de l’esthète qui nous impose sa vision, tous leurs caractères distinctifs de temps et de lieu, pour ne plus laisser transparaître, à travers leurs formes, que l’unique Beauté. Le royaume de la Beauté est un autre aspect du Royaume de Dieu, — et M. Robert de la Sizeranne est le Prophète et le Voyant qui, à la suite de Ruskin, nous introduit dans ce royaume nullement mystique, mais au contraire parfaitement visible et tangible.

On peut dire que toute son œuvre ne fait que traduire de mille manières cette vision initiale. L’auteur n’a vécu et n’a travaillé que pour la répandre, que pour annoncer et, si je puis dire, que pour prêcher cette religion de la Beauté. L’homme ne peut pas se séparer de son œuvre. Cette œuvre est universellement connue et justement admirée. Et ce n’est pas aux lecteurs de la Revue qu’on peut avoir la prétention de la révéler ni de dire ce qu’elle vaut. Seulement, on peut se demander sous quelles influences particulières la pensée de l’écrivain a pris la direction que l’on sait ; et même si l’on admet que cette pensée était assez impérieuse, assez originale