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Comment s’explique cette fureur ?

Assurément, il y eut chez quelques-uns un peu d’indécision. On s’enthousiasma parfois « à côté ; » on n’admira pas toujours ce qui est admirable : le Golfe de Baya fut peut-être plus loué que l’Isolement ou le Vallon, Que M. de Bonald ait estimé surtout les parties « nobles, élevées, utiles » de cette poésie, c’est-à-dire les Odes classiques et ultra : c’est trop naturel. Que deux hommes d’esprit se soient accordés pour trouver les stances A Manoel plus parfaites que le reste, ce n’est pas encore pour nous étonner. Mais que Victor Hugo s’arrête à Dieu, à la Poésie sacrée, à la Semaine sainte, autant qu’au Souvenir et à l’Homme ; qu’il signale l’Invocation, cette poésie de keepsake, comme la perle du recueil : c’est ce qu’on pourrait trouver stupéfiant, si ces jugements ne venaient de l’amant d’Adèle Foucher et du rédacteur du Conservateur littéraire.

Il est certain qu’il y eut de tout dans l’admiration qu’inspirèrent les Méditations. Aux uns plurent les saines doctrines ; à d’autres les strophes classiques ; à d’autres la religiosité exaltée et tendre ; à d’autres les airs de romance élégiaque, le roucoulement amoureux. Les uns eurent, plaisir à retrouver dans ces vers tout ce qu’ils connaissaient, tout ce qu’ils aimaient. D’autres y écoutèrent avec ravissement ce qu’ils n’avaient jamais entendu, y reconnurent ce qu’avait vaguement appelé le rêve secret et confus de leur âme.

Mais très vite il apparut que ces derniers seuls avaient raison. Très vite se précisa le caractère du succès de cette poésie. Quelques Méditations émergèrent qui définirent pour le commun des lecteurs et des lectrices la vertu de l’inspiration lamartinienne ; et je crois bien que le public alla au but plus vite et plus droit que les critiques : il était moins empêtré de doctrines et de préjugés d’école.

En un sens, il n’y avait pas grand’chose de nouveau dans les Méditations ; en un autre sens, c’était le recueil le plus neuf qui eût paru en France depuis les Fables de La Fontaine. Je néglige pour le moment l’apparition d’André Chénier : je dirai pourquoi tout à l’heure.

Ni la technique n’était nouvelle, ni la langue poétique n’était renouvelée dans ce chef-d’œuvre. Le vers fluide de