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Puissances de l’Entente concluent avec le gouvernement bolchevik une sorte de paix sans reconnaissance formelle dont la reprise des relations commerciales est le premier acte ? La politique turco-bolchévique n’aurait-elle été qu’une sorte de chantage destiné à obliger les Alliés à reconnaître le pouvoir de Lénine et de Trotski et à n’imposer à la Turquie que des conditions de paix très adoucies ? Nous ne le croyons pas. Le bolchévisme ne peut vivre qu’en conquérant ; il ne peut subsister en Russie qu’en masquant sa faillite intérieure par une sorte de surenchère nationaliste en Asie, dont le bénéfice lui permettra de reprendre, avec des forces renouvelées et accrues, la lutte, par la révolution et au besoin par les armes, contre l’Europe occidentale. Le repliement qu’il opère en ce moment vers l’Est, en Asie, n’a d’autre objet que d’accroître ses moyens d’action pour une nouvelle offensive contre l’Europe.

Voilà le péril. Il est heureusement au pouvoir des puissances alliées de le conjurer, mais ce ne saurait être par une politique faible et dilatoire. Les mouvements qui agitent la surface de l’Islam asiatique sont provoqués artificiellement par un petit nombre d’individus munis de puissants moyens de propagande. Les peuples, et particulièrement le peuple turc, n’aspirent qu’à la paix, après tant d’années de guerres et de troubles. Il convient d’abord de les rassurer et de garantir aux Turcs contre des représailles grecques ou arméniennes la même protection qu’aux Grecs et aux Arméniens contre les sévices turcs. La paix à signer avec les Turcs doit les laisser hors d’état d’entraver le développement des autres peuples naguère leurs sujets, et en même temps leur assurer à eux-mêmes la possibilité de mettre en œuvre leurs facultés propres dans les régions où la population est, depuis longtemps, sans fraude ni massacre, en majorité turque. Il existe parmi les Turcs des éléments sains et sages qui répugnent à toute compromission avec le communisme russe ; un appel du cheik-ul-islam a récemment mis en garde ses compatriotes contre les séductions trompeuses du bolchévisme, « le plus grand danger qui ait jamais menacé le monde, le droit et la justice. » Que le cheik-ul-islam se soit cru obligé de lancer cet avertissement solennel, c’est l’indice de l’étendue du péril. Le jour où les hommes d’ordre et de paix, qui ont détesté la guerre et les massacres, se sentiront soutenus par l’Entente, ils assumeront les responsabilités du pouvoir et