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turcs des Dardanelles ; ils sont morts pour la délivrance des Turcs opprimés ; leur courage et leur sacrifice ont obtenu un grand résultat, l’indépendance de l’Azerbaïdjan ; il faut supprimer l’Arménie que les Alliés voudraient dresser comme une barrière entre deux peuples frères, les Turcs d’Anatolie et les Turcs du Caucase. Grâce au pantouranisme, déclare Akchura, la Turquie, défaite militairement, est victorieuse politiquement. Parle ensuite dans le même esprit un socialiste turc, Hamdullah Subhi bey. Tous les orateurs prophétisent pour un proche avenir la grande lutte décisive entre l’Asie et l’Europe pour l’émancipation complète de l’humanité. Les forces de l’Asie, insurgées contre l’oppression étrangère, seront conduites à la bataille par les Turcs, et l’on verra se renouveler l’histoire qui jeta jadis sur l’Europe terrifiée les masses guerrières des sultans ottomans. Dans la suprême bataille qui se prépare, le cimeterre turc sera une fois de plus le glaive du Prophète.

Ces manifestations ne sont pas restées sans effet ; les vœux du Congrès de Sivas sont déjà en partie réalisés. L’alliance entre le nouvel État d’Azerbaïdjan[1] et le gouvernement de Constantinople est un fait accompli ; le traité a été signé en octobre 1919 à Constantinople, sous les apparences d’une convention militaire, par le chef d’Etat-major, Djevad pacha, agissant dans l’intérêt et d’après les instructions de Mustapha Kemal, et le général Kérimoff, délégué tartare ; le Times du 20 mars en a publié la substance. Les deux parties se promettent assistance mutuelle au cas où leur intégrité territoriale ou leur pleine indépendance, telles que le futur traité de paix les déterminera, seraient menacées ; elles ne signeront d’ailleurs qu’un traité où l’indépendance de l’Azerbaïdjan sera reconnue et où celle de l’Empire ottoman restera complète. La Turquie fournira à l’Azerbaïdjan les officiers pour encadrer son armée, les armes pour l’équiper. L’Azerbaïdjan ne devra conclure aucune convention militaire sans l’assentiment de la Porte. Sous couleur d’alliance c’est un protectorat qui s’organise : la Turquie vaincue se fait conquérante et la voilà installée sur la Caspienne.

  1. Il s’agit ici de l’Azerbaïdjan russe, constitué dans la partie Est de l’ancienne Transcaucasie et non de l’Azerbaïdjan persan (région de Tauris). L’Azerbaïdjan s’est proclamé indépendant le 28 mai 1918 et a été reconnu comme gouvernement « de facto » par l’Angleterre le 15 janvier 1920 ; n’oublions pas qu’il renferme Bakou et ses pétroles.