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redire, la Pologne sera forte ou elle ne sera pas, et il n’y aura d’équilibre et de paix pour l’Europe, de sécurité pour la France, que si elle est. Mais, sur tout le front de l’Ouest, les bolcheviks doutent de leur victoire ; ils savent que le patriotisme est le rocher de bronze sur lequel se brisent les vagues de la révolution universelle. Provisoirement, ils détournent les yeux de cette Europe où les « bourgeois capitalistes » sont décidément trop solides et les révolutionnaires trop sages, ils la convient à la paix et aux échanges, et c’est vers l’Asie qu’ils dirigent leurs regards et leurs espérances.

À l’automne 1919, le général Denikine, dont il conviendrait d’ailleurs de contrôler le témoignage, évaluait les éléments non russes dans l’armée « rouge » à 100 000 Allemands, 70 000 Turcs et Chinois (qui paraissent être surtout des Khougouses), 50 000 Hongrois. Depuis lors, la proportion des Asiatiques, des Touraniens surtout, a augmenté. Le Turkestan offre un champ de recrutement important dont les bolcheviks sont aujourd’hui les maîtres ; ils tiennent les deux chemins de fer, l’Orenbourg-Tachkent et le Transcaspien. Le Khan de Boukhara, isolé, a renoncé à toute résistance. Installés aux portes de la Perse, les bolcheviks y envoient leurs agents, amplement munis de leurs munitions spéciales, le papier-monnaie. Leurs services de propagande font d’énormes dépenses ; on cite, pour la Sibérie, des chiffres extraordinaires, quatre milliards et demi de roubles, qu’il est d’ailleurs impossible de vérifier, mais dont les effets sont faciles à constater. Le 17 août 1919, les Baschkirs trahissent pour la seconde fois l’amiral Koltchak et permettent aux « rouges » de crever son front. Le 25, à Sara, la 11e division sibérienne, toute équipée à neuf par les Anglais, passe à l’ennemi, tourne ses fusils contre la division cosaque chargée de l’appuyer et provoque une panique irrémédiable. Koltchak est définitivement battu. Les bolcheviks ont bien placé leur argent. Et nous ne citons que ces deux exemples parmi beaucoup d’autres.

La presse des Soviets indique l’objectif : les Indes et les routes qui y conduisent, la Perse, l’Afghanistan. Avec une habileté perverse, les bolcheviks cherchent à réveiller chez certains patriotes russes le vieux sentiment d’hostilité à l’égard de l’Angleterre et reprennent à leur compte la politique qui provoqua jadis tant d’alarmes au Foreign Office et au gouvernement de l’Inde. Les commissaires du peuple ont choisi,