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les plus solides bataillons de l’armée « rouge » sont composés de Chinois, de musulmans de Russie et du Caucase, de Tatars et de Turcs du Turkestan. Les chefs du bolchévisme savent qu’ils n’ont rien à attendre des peuples européens qui entourent la Russie moscovite ; Finlande, Esthonie, Lettonie, Lithuanie, Pologne, Ukraine même, résistent et résisteront de plus en plus à leur domination. Mais entre le communisme soviétique et l’Asie centrale, on constate des harmonies préétablies. On a pu dire ici-même avec exactitude que la première des républiques bolchévistes a été créée au milieu du XIXe siècle par les Khoungouses de la Mandchourie[1]. Nulle part plus qu’en Chine l’individu n’est sacrifié à la collectivité : despotisme et communisme, c’est l’histoire de la Chine. Pour sauver le pouvoir des « commissaires du peuple » d’une faillite ignominieuse, c’est en Asie qu’il faut aller chercher des forces et des ressources nouvelles ; on y prêchera un bolchévisme spécial, nationaliste et militaire, qui promet à ses adeptes la fin des suprématies européennes et qui, aux volontaires qui viendront s’enrôler sous ses drapeaux rouges, montre de loin l’Europe « capitaliste » à ravager. Ainsi les bolcheviks ramènent la Russie moscovite vers l’une de ses origines, l’Asie ; ils espèrent, comme l’Antée de la fable, rajeunir leurs forces au contact de la terre-mère. Lénine, dans un discours aux communistes musulmans (fin décembre 1919), annonce qu’il accommodera le communisme au caractère oriental, car l’Occident ne reconnaîtra la suprématie du bolchévisme que quand celui-ci aura vaincu à l’Orient. Pour masquer l’échec de leurs désastreuses expériences sociales, les Lénine et les Trotski, rompant d’un pas du côté de l’Europe, prennent du champ et proposent la paix générale. C’est pour être plus libres de porter tout d’abord leur effort sur l’Asie. Puis, quand l’Europe, rassurée, occupée à panser les blessures de la guerre, sera adonnée aux travaux de la paix, on l’inondera d’une armée d’espions, d’agents propagandistes, qui, embusqués au coin d’un journal révolutionnaire, aplaniront les voies aux prophètes du communisme et aux armées d’un nouveau Tchinguiz-Khan ou d’un nouveau Timour. Ainsi se prépare l’offensive de l’Asie.

  1. Francis Mury. La première république bolchéviste, 1er septembre 1919.