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miraculeusement : là où Lamartine comptait par heures, il faut compter par jours. La nomination n’était pas encore arrivée le 23 mars, et le cadeau du roi, ou plutôt le don fait par le gouvernement royal, comme tous les autres actes, au nom du roi, ne fut annoncé par M. Siméon que le 18 avril.

D’autre part, il est probable que le volume avait paru un peu avant le 11 mars. A défaut d’une indication exacte, ne rejetons pas la date du 13 mars. Puisque Lamartine y attachait ses souvenirs, conservons-la comme une date légendaire pour la commémoration de la naissance d’un grand poète.

Ce qui est sûr, c’est qu’en quelques jours il fut installé dans la gloire. « Tous les plus antipoètes, » MM. De Talleyrand, Molé, Mounier, Pasquier, Mme de Montcalm, lurent ces verset voulurent en être enthousiastes. M. de Bonald jugea que c’était parfois aussi beau que Lefranc de Pompignan. Jules Janin, lycéen de Louis-le-Grand, croyait se souvenir d’avoir acheté le volume un jour de sortie, et d’avoir été ravi en extase « dans un nouveau monde poétique. » Ce fut un des derniers ouvrages que la chère Zozotte du général Thiébaut lut avant de mourir. Les Elvires se multiplièrent sur les registres des naissances jusque dans nos plus lointains villages ; et, à la cour de Russie, un chevalier-garde venait, chaque nuit, sous la fenêtre d’une demoiselle d’honneur de l’Impératrice, pour lui lire, juché dans un arbre, à la hauteur de sa chambre, les plus beaux passages de ces poésies françaises. Où ne pénétra point le mince in-8 ?

Tous les journaux s’en occupèrent. Le Journal de Paris, le Conservateur, les Débats, la Gazette de France, donnèrent la noie. Le positif Journal des Maires, feuille d’intérêts pratiques, fit mention, par deux fois, du poêle. Le sévère Journal des savants consacra son succès comme une chose sérieuse ; et la Revue d’Edimbourg fit place au débutant à côté des maîtres, de Casimir Delavigne et de Béranger : les Méditations devenaient un fait européen.

A vrai dire, ce succès avait été préparé. Dès le printemps de 1919, le jeune poète avait lu ses vers dans les salons royalistes devant « l’aristocratie intelligente, » orateurs, publicistes, penseurs, auteurs et critiques. Quelques grandes dames, Mme de Montcalm, Mme de Broglie, Mme de Saint-Aulaire, Mme de Beufvier, s’étaient appliquées au « lancement. » Le duc de Rohan,