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considérés par les exaltés qui font cortège à M. d’Annunzio comme la quatrième et la cinquième fois que leur pays a « sauvé » la coalition. « La quatrième fois, dit M. d’Annunzio, ce fut dans le combat et dans la moisson du solstice, dans la victoire solaire de juin, quand la faux donna aux blessés la paille fraîche et que la baïonnette protégea le pain nouveau. Et la cinquième fut l’extrême : ce fut la victoire la plus grande, la victoire classique, la force du coin romain qui brise l’adversaire en deux tronçons convulsés. »

Pour faire honneur à l’Italie d’un « sauvetage » de plus et faire apparaître son rôle sous un aspect providentiel, ces exagérations ne tiennent pas compte des faits qu’elles ramènent, par cela même, instantanément à la mémoire des esprits impartiaux ; la participation, numériquement et qualitativement intéressante, que les renforts franco-anglais ont prise à la bataille d’arrêt de juin 1918 et à la victoire de Vittorîo-Veneto ; l’avantage capital que cette victoire a tiré de l’offensive de l’armée d’Orient, qui l’a précédée de plusieurs semaines, et qui a réduit la Bulgarie à merci, délivré la Serbie, isolé la Turquie, menacé l’Autriche sur le Danube, soulevé ses provinces yougo-slaves et tchécoslovaques ; enfin les facteurs intérieurs qui, minant la monarchie des Habsbourg, ont fait de l’armée austro-hongroise l’armée d’un État qui s’en allait en morceaux.

La part de mérite de l’Italie dans la défaite et l’anéantissement de l’Autriche-Hongrie reste assez vaste pour n’avoir pas besoin d’être gonflée. Telle qu’elle fut en réalité, cette part apparaît comme essentielle, et c’est exagérer en sens contraire que la contester ou la dénigrer. Si les Italiens, plus heureux que nous, n’ont pas vu leur offensive finale arrêtée par un armistice, avant qu’elle eût produit tous ses récitals militaires ; si, mieux servis que nous par les circonstances, ils ont pu n’accorder l’armistice au vaincu qu’après le formidable coup de filet qui leur a procuré plus de 400 000 prisonniers et dont la joie nous a été, à nous, refusée : cette faveur de la fortune, que nous auraient sans doute value quinze jours de campagne de plus, ne doit pas nous rendre injustes pour leur victoire, pour l’honneur qu’elle fait à leur commandement et à leurs soldats, pour le service qu’elle nous a rendu. Ce service a consisté à faire place nette de l’Autriche-Hongrie, à abattre le dernier contrefort de l’Allemagne, à achever l’isolement de