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garanties. — N’avez-vous pas notre parole ? — C’est vrai, et nous sommes convaincus qu’elle vaudra mieux que votre signature. »

C’est à ce dialogue humiliant que s’est trop longtemps résignée l’Entente victorieuse.

Si, au moment de l’armistice, elle avait immédiatement compris qu’après avoir gagné la guerre, elle avait à gagner la paix et que la maîtrise du charbon pouvait lui donner les moyens de régler elle-même le relèvement économique de l’Europe, elle aurait momentanément occupé la Ruhr, ravitaillé les colons et assuré la répartition du combustible entre tous les pays intéressés, y compris l’Allemagne. Elle a, depuis lors, laissé échapper plusieurs occasions de réparer son erreur et maintenant la France court le risque de ne plus même recevoir les quantités tout à fait insuffisantes de charbon qui lui étaient expédiées. En même temps, l’armée allemande a repris, avec le Rhin, le contact que prohibait le traité. Plus que jamais, l’Entente a le devoir de se prémunir, par des garanties positives, contre des infractions qui se renouvellent sans cesse et contre des empiétements militaires qui peuvent, tôt ou tard, favoriser un retour offensif de l’impérialisme allemand. Dans le remarquable discours qu’il prononçait, ces jours-ci, à Montocitorio, M. Nitti avait assurément raison de dire qu’il était « nécessaire de remettre en valeur l’Allemagne et la Russie » et que « seule pouvait sauver l’Europe une politique impliquant la reconstruction des nations vaincues. » Nous ne voulons appauvrir personne. Nous serons très heureux que les nations vaincues se relèvent par le travail et recouvrent leur prospérité. Nous verrons avec plaisir une Allemagne pacifique se reconstituer dans l’ordre et dans la liberté. Besoin n’est pas de faire appel à notre clémence. Nous sommes humains et nous sommes justes. Mais nous ne sommes pas assez riches pour offrir des présents à ceux qui nous ont volés, et, si dignes de pitié que soient les vaincus, peut-être avons-nous nous-mêmes le droit de vivre.


RAYMOND POINCARE.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.