Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souci de prendre, pour son commerce extérieur, une assurance contre le désordre européen. Elle accéda donc aux demandes des financiers internationaux et proposa au Conseil suprême de s’adresser à la Société des Nations pour la convocation d’une conférence.

Je reconnais volontiers que, si le Conseil de la Société des Nations était resté sourd à cet appel, la pression des intérêts lésés par la crise des changes aurait pu déterminer l’Espagne, par exemple, ou la Hollande à prendre elles-mêmes l’initiative de cette conférence ; et il eût été difficile à la Grande-Bretagne, à l’Italie, et peut-être à la France de se tenir à l’écart. Mais il n’y a point à se dissimuler que si, dans ces réunions de Bruxelles, où les États ne seront pas seuls représentés et où viendront, en grand nombre, les mandataires des banques et autres institutions financières, le programme n’est pas clairement défini et la discussion sévèrement réglée, nous pouvons nous réveiller, un beau matin de mai, devant les débris épars du traité de paix.

L’Espagne, les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, sont des créanciers de l’Allemagne pour des sommes très importantes et ils ont naturellement le désir de réaliser leurs créances au meilleur prix. Ils sont également pressés de rétablir le courant d’affaires qu’ils entretenaient, avant la guerre, avec l’Europe centrale, et, par suite, beaucoup de leurs industriels et de leurs financiers sont portés à considérer l’Allemagne comme la dépositaire de la baguette magique qui rétablira l’équilibre des changes. La même tendance existe dans les milieux financiers internationaux de Londres et de New-York et le péril est que la conférence de Bruxelles, convoquée sur le vu d’un mémoire dont lord Robert Cecil est l’un des plus éminents signataires, ne finisse par offrir au syllogisme-de lord Robert Cecil une revanche dont la France serait la victime.

Certes, la France a un intérêt capital à sortir de son isolement financier et à faire reconnaître comme un actif de valeur internationale les droits que le traité de paix lui a donnés sur l’Allemagne. Mais, si des neutres, eux aussi créanciers de l’Allemagne, et jaloux de sauvegarder leurs propres créances, viennent soutenir, à Bruxelles, que c’est notre indemnité qui menace de perpétuer la crise germanique ; s’ils lient partie avec les représentants des intérêts allemands ; s’ils essaient de réduire notre créance, d’en faire une évaluation prématurée, de la comprimer dans un forfait arbitraire, je ne veux pas douter que les délégués du gouvernement français trouveront, pour résister à ces tentatives, le concours amical de tous nos Alliés.