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en Arménie, sans avoir seulement pris la peine de déterminer les frontières du pays ? Il oubliait, sans doute, que, malgré les efforts de la France, il n’a été donné à la Ligue des Nations ni pouvoir d’action ni effectifs militaires. Hier, le Conseil suprême ne recevait-il pas de sa section économique et ne livrait-il pas à la publicité, avant d’avoir recueilli l’adhésion de M. Millerand, un mémorandum qui, s’il n’eût été, sur des points essentiels, corrigé ensuite par le gouvernement français, aurait encouragé, contrairement à la volonté loyalement exprimée par M. Lloyd George, la campagne menée par l’Allemagne en faveur de la révision du traité ?

La thèse qui s’était glissée dans une partie de ce mémorandum ne différait guère de celle que lord Robert Cecil exposait récemment au public français avec la franchise et le talent dont il est coutumier : « Tous les États de l’Europe sont économiquement solidaires. La France elle-même est intéressée à ce que l’Allemagne recouvre sa vitalité. Or, l’Allemagne ne se rétablira jamais, si on la laisse écrasée sous le poids du traité. Donc, il faut réviser le traité pour alléger le poids qui risque d’accabler l’Allemagne. » Dans une étude lumineuse, M. André Tardieu a montré que ce spécieux syllogisme n’est pas une nouveauté, qu’il n’a cessé d’être présenté, développé, discuté, à la Conférence de la paix et que la réfutation réitérée des délégués français a finalement réussi à le faire écarter. M. Tardieu a également rappelé, avec une précision péremptoire, qu’entre le 7 mai 1919, date de la remise du traité au comte de Brockdorff, et le 16 juin, date de la réponse alliée aux notes allemandes, il s’est tenu vingt séances du Conseil des Quatre et cent dix-sept séances de commissions, dans lesquelles toutes les clauses financières ont été revues et scrupuleusement pesées ; et ce n’est qu’après cet examen consciencieux qu’a été envoyée la lettre du 16 juin, rédigée par un fidèle ami de lord Robert Cecil lui-même, M. Philippe Kerr, et contenant ces phrases dont rien n’est venu, depuis lors, altérer la vérité : « La responsabilité de l’Allemagne n’est pas limitée au fait d’avoir voulu et déchaîné la guerre. L’Allemagne est également responsable pour la manière sauvage et inhumaine dont elle l’a conduite… Les Puissances alliées et associées désirent voir l’Allemagne jouir de la prospérité comme les autres peuples. Mais une part considérable de cette prospérité devra, pour bien des années, avoir à réparer les dommages que l’Allemagne a causés. »

M. Millerand ne faisait que reproduire presque textuellement cette déclaration, lorsqu’il disait ces jours-ci : « Dans nos relations