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pittoresques que M. Keynes a brossés dans l’un des plus vivants chapitres de son livre fameux me semblent, à cet égard, représenter sous une couleur un peu fausse la grande figure du premier ministre français. Il n’est pas vrai que M. Clemenceau se soit désintéressé de tout ce qui, à son sens, ne nous concernait pas directement ; il a eu, au contraire, et j’en ai été cent fois témoin, le souci constant des destinées de l’Entente.

J’ai dit cependant qu’à mon avis les méthodes suivies par les Alliés dans l’élaboration des divers traités de paix avaient été mauvaises, et, ai j’ai cru devoir présenter cette observation, aujourd’hui ratifiée par l’opinion générale, ce n’est pas assurément dans une vaine intention de critique rétrospective ; c’est qu’après les hélas ! qu’avait fait, à plusieurs reprises, pousser à la France l’œuvre disparate du Conseil suprême, il était temps de crier : Holà !

Comme je l’avais prévu, ce discret avertissement m’a, tout de suite, valu des reproches variés. On m’a courtoisement invité à parler plus haut et à en dire davantage. On m’a blâmé d’en dire trop et on m’a engagé à parler plus bas. Dans une pensée très louable, un ami de M. Clemenceau a cru devoir prendre la défense de l’illustre homme d’État, qui n’était pas attaqué, et alléguer que le dépit de n’avoir pas siégé au Conseil suprême obscurcissait mon jugement. Avec une spirituelle ironie, un adversaire de M. Clemenceau a rappelé à ma mémoire défaillante qu’il y avait, en 1919, un Président de la République et qu’aux termes de la Constitution il aurait dû revendiquer le droit de négocier lui-même les traités. Quel que soit l’attrait de la polémique, ce n’est pas dans la Revue que j’y puis céder ; et une réponse à ces commentaires divergents aurait, d’ailleurs, forcément un tour personnel qui n’intéresserait guère le lecteur. Comme l’agonie du Conseil suprême se prolonge à Londres, je veux seulement préciser l’opinion, de portée générale, que je n’ai pu me défendre d’exprimer.

Il est à peine besoin de dire qu’aucun chef d’État constitutionnel n’a jamais conçu l’idée de prendre part aux délibérations de la Conférence de la paix ou du Conseil suprême. C’est comme chef du gouvernement américain que M. le Président Wilson a suivi lui-même les séances aux côtés des autres chefs de gouvernement. Mais, en dehors de lui, aucun des chefs d’État alliés ne cumulait les deux fonctions, et le Président de la République française n’avait pas plus que le Roi d’Angleterre, le Roi des Belges ou le Roi d’Italie le droit de se mêler aux discussions. La rencontre de ces chefs d’État