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sommets du monde… » M. Boschot note que Chateaubriand n’attendit pas d’être ambassadeur pour écrire René ; que Lamartine, pour écrire le Lac, n’attendit pas d’être, en 1848, le maître de l’heure. Mais, on devine que, par les « sommets du monde, » Taine et M. Boschot n’entendent pas la même chose.

Il est assez probable que Taine, quand il formulait sa définition du romantique, ne songeait pas tout particulièrement à Berlioz. Mais il se trouve que cette définition ne convient pas mal à ce Berlioz qui, sans être de « la plèbe, » est du moins un garçon « de race neuve ; » qui est « richement doué de facultés et de désirs, » et vraiment désireux comme personne ; qui, le premier des siens, arrive à ces « sommets du monde, » — une ambassade ? non, — mais qui, par son génie et son entrain, s’est évadé de l’humble vie où ses parents le confinaient, tente une vive et rude montée sociale avec ardeur et avec désinvolture et, du point où il établit sa pensée, regarde et voit de haut le monde et ses petites contingences. Qu’il « étale avec fracas le trouble de son esprit et de son cœur, » ne vous en apercevez-vous pas ? Le « fracas » étonne M. Boschot, lui déplaît sans doute : mais il y a du fracas, un terrible fracas, dans la vie de Berlioz et telle que M. Boschot l’a racontée.

D’ailleurs, M. Boschot s’en prend à M. Taine. Mais ce n’est pas à la formule de Taine qu’il en a tout uniment : il éconduit toute formule ; et ici je l’approuve. Il ne définit pas le romantique. Cependant, le mot de « romantique » apparaît dans le titre de ses quatre volumes. Qu’est-ce qu’un romantique ? On appelle romantiques plusieurs poètes, écrivains, orateurs, peintres et musiciens du précédent siècle qui ont ensemble quelques analogies. Leurs analogies ne les empêchent pas d’être divers. Leur individualité est plus intéressante, est plus profonde et est plus vraie que la mode qu’ils ont suivie. Et ce n’est pas un romantique entre tant d’autres, que M. Boschot, le plus diligent des biographes, le mieux épris de son héros, étudie : c’est Berlioz, et non le romantisme de Berlioz, un être singulier, qu’il admire et qu’il aime et qu’il a su peindre avec la plus intelligente amitié.

En 1827, Berlioz a vingt-quatre ans. Il est à Paris depuis quelques années. Il a difficilement obtenu de son père la permission d’abandonner la médecine et de se faire inscrire à l’École royale de musique : c’est le Conservatoire. Il a concouru pour le prix de Rome : ses juges ne l’ont pas remarqué. Son père lui envoie cent vingt francs tous les mois ; il demeure, rue de la Harpe, dans une