Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discussion sur la paix entre deux belligérants de chaque groupe : c’est celle que le président Wilson a acceptée, à l’automne de 1918, avec les Allemands. Mathématiquement, fatalement, elle nous a conduits en quelques semaines à l’armistice du 11 novembre. Heureusement pour nous, et grâce aux armées de l’Entente, la victoire est survenue dans l’intervalle. Mais la victoire était encore loin, à l’époque des lettres de Charles Ier, des propos du comte Mensdorff et du comte Revertera, des démangeaisons de causer éprouvées par d’autres diplomates en villégiature. L’engrenage nous eût saisis avant que la victoire des armes eût pu intervenir, et nous aurions eu grand’peine à nous en dégager, sans y laisser quelque chose de notre résistance morale, et plus encore, de notre honneur. Car, l’événement ayant prouvé que l’Autriche n’était alors nullement disposée à faire à l’Italie les sacrifices nécessaires pour la désarmer, il en résulte qu’elle a eu en vue moins de se détacher de l’Allemagne que de nous détacher de l’Italie ; qu’elle a cherché, non sa paix séparée, mais la nôtre, laquelle eût contraint l’Italie abandonnée à traiter aussi, mais encore contre son propre gré. Intérêts matériels et intérêts moraux, tout eût sombré de notre côté dans une paix générale procurée par un mécanisme aussi perfide.

Eût-il d’ailleurs voulu sincèrement la paix séparée, qu’il n’eût pas suffi au gouvernement de Vienne de la vouloir ni de la chercher ; il lui eût encore été nécessaire de pouvoir la faire. Et il n’en avait pas le pouvoir. Il n’était pas maître de ses destinées ; les Allemands le tenaient matériellement ; il ne pouvait se libérer de leur emprise totale, politique et militaire, qui seule maintenait encore assemblées les pièces disparates de son Empire croulant. Dans ces conditions, nous étions forcés, bon gré mal gré, de passer sur le corps de l’Autriche-Hongrie pour vaincre l’Allemagne, qui ne pouvait être réduite qu’à condition d’abattre simultanément, sinon même auparavant, tous ses contreforts, le contrefort danubien, comme le turc et le bulgare. À agir autrement, nous eussions compromis irrémédiablement d’abord notre propre cause, ensuite celle de beaucoup d’autres alliés que les Italiens ; celle des Serbes, qui attendaient de la défaite de l’Autriche la libération des Yougoslaves ; celle des Roumains, qui en attendaient la récupération de la Transylvanie et d’une partie du Banal ; celle des