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Il fut transporté dans la voiture de Heerkeren et tandis que l’on se remettait en route, il eut plusieurs évanouissements. Lorsqu’il revint à lui, en proie à une fièvre intense, il s’adressa à Danzas et trouva la force de plaisanter sur sa propre situation. Ils arrivaient à six heures devant sa maison et le blessé envoyait son camarade au-devant de lui pour prévenir sa femme et la rassurer sur son état. Son vieux valet, accouru à sa rencontre, le prit dans ses bras et le souleva.

— Cela te semble-t-il triste de me porter ? » lui dit doucement Pouchkine.

La certitude que sa blessure était mortelle lui vint dès les premières heures de son agonie. Il eut le courage d’entendre son arrêt de mort prononcé par son médecin et, malgré de cruelles souffrances, fit preuve d’une admirable patience.

Il languit près de quarante-huit heures, gardant jusqu’à la fin une grande lucidité et une sérénité parfaite. Ses adieux à sa femme, cause de tant de souffrances, furent empreints d’une émouvante douceur. Ses amis s’empressaient autour de lui : il leur parlait d’une voix affectueuse ; à un moment, il tendit ses mains vers sa bibliothèque et murmura : « Adieu, amis, » joignant ainsi s sauteurs favoris à tous ceux qui l’avaient aimé.

Il expira le 29 janvier 1837.

Joukowsky, avec la piété qui caractérisera tous ses actes envers Pouchkine, eut soin de noter heure par heure les dernières journées de son ami. Mais ici encore, il voulut avant tout chercher dans les paroles et jusque dans la pensée du mourant un sens précis qui put réhabiliter sa mémoire aux yeux du souverain. Pouchkine, le poète moqueur et parfois irrévérencieux, ne devait point mourir en impie. Pouchkine, l’ami de toutes les oppositions, l’inspirateur de tant de troubles, ne devait pas mourir sans être réconcilié avec la monarchies Joukowsky s’appliqua donc, non à enregistrer la vérité sévère de ces instants suprêmes, mais à tracer un tableau conventionnel, un tableau a la mode du temps ; il voulut deviner dans les paroles de Pouchkine des accents de piété, des assurances suprêmes de fidélité à l’Empereur ; ce voile de décorum, si cher à l’auteur de la biographie de Pouchkine, nous empêche, hélas ! de discerner les véritables traits, si nobles pourtant, du poète agonisant.

Cependant, la prudence de Joukowsky eut raison de l’éternelle méfiance du gouvernement, et son dévouement assura à