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La difficulté de trouver un témoin ne fut résolue que le jour même du duel ; Pouchkine hésitait à faire appel à un de ses amis, craignant la colère de l’Empereur, dont la sévérité à l’égard des duels était inflexible ; il semble aussi que la décision principale de se battre ayant été prise, Pouchkine se laissa aller à l’indolence de son caractère et négligea de s’occuper des détails matériels. Son choix s’arrêta enfin sur un ancien camarade de collège très dévoué et qui se nommait Danzas ; mais avec une délicatesse qui est tout à son honneur, Pouchkine prit soin de répandre la version que les deux camarades s’étaient rencontrés par hasard, et que Danzas n’avait appris le duel que sur le terrain même.


Le 27 janvier 1837, jour du duel, Pouchkine se leva à 8 heures du matin, de fort joyeuse humeur. Joukowsky note les détails de cette matinée. « Il écrit beaucoup, jusqu’à 11 heures. A 11 heures il déjeune ; puis il se promène dans sa chambre en chantonnant. Ayant aperçu Danzas (son témoin) par la fenêtre, il court joyeusement à sa rencontre ; ils se rendent dans son cabinet de travail et s’y enferment. Au bout de quelques instants, ils envoient chercher les pistolets ; Danzas parti, Pouchkine fait sa toilette et demande des vêtements neufs ; puis il ordonne qu’on lui apporte sa pelisse et sort à pied jusqu’au fiacre. Il est une heure. »

Tel est le seul récit, bien laconique, hélas ! qui nous reste de cette mémorable matinée. Mais nous retrouvons dans le volume de la correspondance de Pouchkine un détail bien autrement significatif et émouvant : le poète avait été convié pour le jour même du duel chez une certaine Mme Ishimoff, femme de lettres distinguée dont Pouchkine avait sollicité la collaboration pour une revue littéraire ; avant de se rendre sur le terrain, dans le grand recueillement de cette matinée, il trouve en lui assez de sérénité pour adresser à Mme Ishimoff le billet suivant, dernière lettre écrite de sa main :

« Je regrette infiniment qu’il me soit aujourd’hui impossible de me rendre à votre invitation. En attendant, j’ai l’honneur de vous expédier Barry Cornwall (livre anglais dont il lui confiait la traduction) ; vous trouverez vers la fin de ce volume des passages marqués au crayon ; traduisez-les comme bon