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en 1820. Il le paya durement par plusieurs années d’exil, d’abord en Crimée, puis à Michailowskoïe, son domaine du gouvernement de Pskoff. Enfin gracié par l’intervention de son ami, le poète Joukowsky, il en était revenu sinon converti, tout au moins plus sage et plus prudent. Mais Nicolas Ier qui montait sur le trône en 1825, héritait de la méfiance et de l’inquiétude de son père à l’égard de tout ce qui lui semblait menacer le régime monarchique. Pouchkine restait donc à ses yeux un homme dangereux dont il fallait à tout prix maîtriser la verve audacieuse. Cependant malgré ses premières années de jeunesse compromettante, il serait faux d’attribuer à Pouchkine une action politique déterminée. Il n’avait en ce temps de trouble et d’obscure révolte, appartenu à aucune association révolutionnaire. Au moment de l’émeute de décembre 1825, retenu par son exil dans le village de Michailowskoïe, il n’avait pu jouer un rôle actif, tout en étant, il est vrai, nettement favorable au mouvement ; au cours des enquêtes sur l’affaire de Décembre, on ne découvrit aucune preuve de sa complicité politique. Et tout de même, Pouchkine demeurait suspect : Pourquoi ?

Nous en trouvons l’explication dans une lettre que Joukowsky lui adressait, à Michailowskoïe, en 1826 : « Tu n’es mêlé à aucune affaire, cela est vrai, mais on a trouvé tes poèmes dans les papiers de tous ceux qui ont agi ; c’est un mauvais moyen de rester en bons termes avec le gouvernement. » Ainsi, pour ne jamais avoir déserté le terrain littéraire et s’être tenu à l’écart de la politique proprement dite, Pouchkine n’en était pas moins un homme dangereux. Il l’était peut-être plus que ceux que l’on avait emprisonnés et envoyés en Sibérie, car son influence était occulte, impalpable et fuyante. S’il n’existait aucune preuve tangible de sa culpabilité, son nom se rattachait cependant indiscutablement au parti libéral et, par-là même, au parti révolutionnaire. Ses poèmes séditieux, souvent mordants et satiriques, passaient sous forme de manuscrits de mains en mains, beaucoup d’inculpés politiques, parmi lesquels se comptaient les plus grands noms de la Russie, avouaient aux juges avoir été fortement influencés par les œuvres de Pouchkine. Nicolas Ier s’en souvint toute sa vie. Il ne cessa d’exercer une surveillance étroite sur le poète et sur ses œuvres. Trop intelligent pour ne point reconnaître la valeur réelle de