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Mon rêve alternera la marche et le repos,
Et mes mains cueilleront, à la Porte romaine,
La belladone chère à la parque Atropos,
Et les sureaux vineux nourris de pourpre humaine.

Ainsi, dans ce décor farouche, mesurant
La force catholique et la grandeur latine,
L’esprit comme ébloui d’un flambeau fulgurant,
Je relierai l’Alsace à sa vraie origine.

Et quand viendra le soir, de retour au couvent,
J’attarderai mes pas sur la vaste terrasse ;
Domptant mal mon orgueil, le front nu, dans le vent,
Je chercherai Strasbourg tout au fond de l’espace.

Et, plutôt deviné qu’aperçu nettement,
Sous les derniers rayons et leurs moires profondes,
Mince ruban d’argent qui reluit un moment.
Je saluerai le Rhin qui sépare deux mondes.


LA FORTERESSE


Des matins lumineux : lins bleus dans de la neige,
Parfumés de lait et de miel ;
Des matins où l’on sent, tant l’être entier s’allège.
Que l’homme est créé pour le ciel.

Les plaisirs mensongers sont restés dans la plaine.
Tout est simple, tout plaît :
Les jours suivent les jours sans différence vaine.
Pareils aux grains d’un chapelet.

Le réfectoire est clair ; stricte, la discipline.
Dans chaque chambre un Christ, ivoire blanc, s’incline.
Voici, sous les tilleuls, le bon renoncement.

La joie est sans éclat, comme un feu sous la cendre,
Qui ne peut plus brûler, mais chauffe doucement.
Miracle ! On est heureux sans jamais rien attendre.