Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un nuage, au lointain, se dissout et s’efface,
Comme la neige dans de l’eau,
Et mon œil qui s’amuse à rechercher sa trace,
Parcourt en vain l’azur sans tache et sans défaut.

Près de moi, la beauté de l’antique abbaye,
Rajeunie en ce jour lustral,
Resplendit, et j’entends, hier évanouie,
Sa couleur élever un hymne triomphal.

Le rouge-brique éclate au milieu des ramures,
La clarté revêt les parois
D’une splendeur égale à la pourpre des mûres.
Et le vent tiède joue entre les meneaux droits.

À l’ombre d’un cyprès danse une libellule,
Comme un esprit libre du corps ;
La ruine s’anime et le lierre ondule ;
Et les arceaux rompus se parent de vieux ors.

L’abside que traverse un immense mélèze,
Allègre, s’emplit de soleil ;
Et les piliers, sur qui nulle voûte ne pèse,
Habillés de rayons, sortent de leur sommeil.

Mais ce qui plus que tout exalte ma pensée.
C’est la tour du narthex se dressant dans l’air pur.
Hardiment, fièrement, éperdument lancée,
Sans qu’un seul moellon manque à son quadrupla mur :

Car, sœur des hauts donjons, rudes soldats de pierre.
Qui dominent le mont et commandent le val.
Elle porte comme eux la couronne guerrière,
Elle arme de créneaux son faite féodal ;

Et proclame, en ces temps de docte barbarie.
Où l’orgueil et l’erreur ont de puissants appas,
Qu’il faut qu’à l’idéal la force se marie.
Et que le Dieu de paix est le Dieu des combats.