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Allons, adieu, mon âme, ma bien-aimée, ma petite-fille chérie, ma bonne et excellente femme, mon Evelin et mon Evelette, adieu ; à demain. Je voudrais que tu reçoives une lettre tous les jours pour te consoler, te rendre de la force et de la vigueur. Je voudrais l’envoyer mon énergie avec mon amour, avec cette affection surhumaine qui a grandi presque en te sachant souffrante, et pour nous ! .. Ah ! pauvre aimée !… Mon Dieu, si tu savais dans quel état j’ai été ! Je n’ose pas te le dire ! J’ai failli mourir de douleur, je suis de ces natures qui, lorsqu’elles ne succombent pas dans le premier quart d’heure du désastre, se relèvent fortes. Seulement, ma pauvre intelligence a été si secouée par le cœur qu’elle ne vaut pas encore grand’chose. Et pas un cœur à qui parler, chez qui gémir ! Aussi, as-tu vu pleuvoir mes lettres, je ne suis heureux qu’en l’écrivant. Il me semble que tu es là, que je te parle, que je te tiens, que je le vois !

Ce feuillet ne verra jamais que la lumière de vos yeux, belle dame. C’est un de ces tâtonnements inutiles que je fais en commençant une œuvre.


L’ECOLE DES BIENFAITEURS[1]

Parmi les personnes choisies qui venaient parfois à l’hôtel de la Chanterie, car on avait fini par donner ce nom à la maison de la rue Chanoinesse, peut-être à cause de la grandeur des œuvres qui s’y consommaient, Godefroid, le néophyte, eut bientôt remarqué deux conseillers à la Cour Royale de Paris. La grande piété de ces deux magistrats leur valait au Palais le surnom de jésuites, quoique la discrétion enveloppât de ses voiles et leurs pratiques religieuses et leurs actes de charité. L’excessive douceur de leurs manières, l’humilité chrétienne de leur conduite, avaient aidé beaucoup à cette fausse renommée, en ce sens que le peuple a fini par prendre en mauvaise part le nom de jésuite. A la longue, on reconnut le peu de justesse de cette dénomination, car tous deux offrirent le modèle du magistral d’autrefois. Ils étaient aussi fermes que savants ; leurs mœurs, d’une antique pureté, faisaient de leur vie une vie de dévouement et de labeur. Ils avaient une

  1. Il s’agit ici d’un fragment de l’Envers de l’histoire contemporaine.