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sans titre[s littéraires] et [seulement] comme un grand seigneur. Il n’est pas, dit-il, assez modeste pour cela. On m’invite beaucoup à me présenter. La Presse et Mme de Girard[in] cabalent beaucoup pour cela. J’ai quarante-sept ans, et l’on dit qu’il faut absolument faire une candidature pour rien. Peut-être ferai-je celle-ci.

Ce matin, je me suis levé très tard. Voici le 7 et rien n’est commencé. C’est une situation à faire frémir.

Mme Valmore a envoyé son fils coucher ici, et il vient de partir après déjeuner. Je me suis levé a neuf heures ; il est midi. Je ne me sens pas la tête (elle est bien brisée, bien vide) dans ma disposition de travail. Je vais aller voir où en est la maison, et peut-être défaire un marché de lanterne pour notre escalier, et acheter les deux dessus de porte pour la salle à manger, puis aller à la poste où, depuis huit jours, je ne trouve rien, ce qui me tue, te sachant malade.


Mardi, [8 décembre].

Voici huit jours que le désespoir et le chagrin sont entrés dans mon âme, dans mon cœur et dans mon pauvre cerveau ! Dieu seul sait quels ravages ils y ont faits, moi qui n’existe que par l’espoir, et qui suis un phénomène d’espérance. Rien ne m’occupe, rien ne me distrait, rien ne m’attache plus. Je ne croyais pas que je pusse tant aimer un commencement d’être ! Mais c’était toi, c’était nous. La résignation me vient difficilement : me voici lésé.

Je me trouve [en tête-à-tête] avec une pensée notre qui ne me quitte pas : c’est de [ne pas] savoir comment tu vas, ce que tu fais. Dans les affreuses circonstances où je suis, pressé par des nécessités d’argent que le malheur du temps nous fait, pressé par des angoisses de cœur épouvantables, j’ai dit : « Je ne puis pas aller à Dresde pour deux jours et en revenir, cela ferait douze jours, et perdre douze jours de travail c’est perdre l’argent nécessaire en janvier aux actions. » Voilà mon raisonnement. Eh bien ! je perdrai ces douze jours à me consumer en efforts, en allées et venues, en inanité de cervelle, et voilà en effet le huitième jour [arrivé], et il m’est impossible de faire lever mon cerveau qui s’est couché comme un cheval fourbu. Il ne sent ni le coup de fouet ni l’éperon. Ce phénomène [m’]est