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nous possédons encore une élite d’écrivains capables de maintenir notre haute tradition. Les étrangers nous disent que nous sommes les premiers avoir éclore une littérature de guerre qui compte, tandis que la leur, aussi copieuse cependant, n’est encore qu’une matière mal digérée : moins sensibles à nos défauts que nous-mêmes, ils nous affirment qu’ils retrouvent, dans la langue de ces auteurs, dont quelques-uns étaient inconnus hier, les mêmes qualités qu’ils admiraient chez nos auteurs immortels. Nous nous plaignons ; nous trouvons que la langue militaire officielle, surchargée de clichés : « J’ai l’honneur de vous rendre compte que…, » affaiblie par la manie des conditionnels : « l’ennemi aurait fait un mouvement vers le Nord… Les hommes de l’Ersatz auraient formé de nouveaux corps…, » souvent impropre dans ses termes, est inégale aux événements : et pourtant, c’est d’elle qu’ont surgi ces bulletins d’une sobriété et d’une précision admirables, ces ordres du jour qui resteront comme des monuments de la langue française : celui de la Marne, par exemple. Nous critiquons la langue du journalisme en général : mais nous avons lu pendant la guerre des journaux d’une exceptionnelle tenue, dont les articles étaient, en même temps que des bréviaires de courage, des modèles de très noble et très pur français : ce n’étaient pas les journalistes qui s’abaissaient à la prose vulgaire de la rue ; ils maintenaient toute la dignité de leur style, et les lecteurs s’élevaient jusqu’à eux. Ces exceptions sont consolantes : dans la mesure où on peut être consolé par des exceptions.

Au moins l’intérêt que nous portons aux questions de langage est-il demeuré général. Quelle joie malicieuse, lorsqu’un journaliste découvre qu’un ancien ministre de l’Instruction publique demande à ce que son interpellation soit discutée tout de suite, et parle de solutionner un problème ! On s’afflige, sans s’étonner, d’entendre un pareil langage : mais on se réjouit de voir la vivacité des critiques qu’il suscite ; le souci du purisme n’est pas aboli chez nous autant qu’il le paraîtrait.

Mais arrivons à l’essentiel. Le voici : c’est l’avenir qui importe : or les combattants ont la ferme volonté d’assurer à notre pays un avenir meilleur que le présent. Le mal dont souffre le français, plus profondément sans doute que de tous les autres, vient de l’affaiblissement de cette éducation dont la vertu lui avait permis de garder à la fois ses qualités nationales