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Mais les thèses nous entraînent toujours, et il faut faire la part de l’exagération involontaire dans ce genre d’ouvrages. Si grande qu’on la fasse ici, ce livre n’en reste pas moins la contribution la plus neuve et une des plus riches aux études dantesques. On peut dire qu’il en a reculé l’horizon et qu’il suscitera un nouveau cycle de recherches.

Il m’a charmé et pris par ses belles qualités et aussi par la flamme que j’y sens courir. La cause que M. Asin soutient avec toute la rigueur d’un esprit méthodique dépasse l’intérêt ordinaire d’une œuvre de pure érudition. Il veut, et ne s’en cache pas, réagir contre le préjugé séculaire qui attribue aux Musulmans la responsabilité des défauts du peuple espagnol. En exhumant les œuvres des penseurs arabes, il reprend la tradition des anciens archevêques de Tolède ; et c’est un spectacle moins ironique qu’émouvant de voir ce prêtre et ce savant revendiquer aujourd’hui pour sa patrie un peu de la gloire de ceux qu’elle exila. « L’influence absorbante que Dante a exercée, dit-il, sur nos allégoristes du XIVe au XVIe siècle est compensée en partie par cette intervention des mystiques musulmans dans la genèse de la Divine Comédie. » La science n’a pas de pairie : c’est entendu ; mais on ne lui en veut pas de s’exprimer quelquefois comme si elle en avait une.

M. Asin aurait-il pleinement raison dans tout ce qu’il avance, Dante n’en serait pas diminué. « La gigantesque figure de l’inspiré florentin, dit-il, ne perd pas un pouce de sa grandeur sublime. » En effet, il ne m’a jamais paru plus grand artiste que là où je pouvais croire qu’il avait été directement touché par le texte arabe. Comme il le transfigure dans les familiarités fulgurantes de son imagination ! J’aurais souhaité qu’après nous avoir montré ce qu’il doit aux penseurs et aux poêles musulmans, M. Asin nous eût mieux montré quel usage il a fait de ses emprunts : ses adaptations plus justes et plus saisissantes du châtiment au crime, son réalisme sobre et pathétique, la vie personnelle dont il anime les allégories et surtout cette sensibilité si frémissante qu’à chaque instant, dans l’indignation, dans la pitié, dans l’espoir ou dans l’extase, son cœur menace de se briser. On ne pleure pas ; on ne s’évanouit pas1 ; on ne tombe pas comme un corps mort dans les légendes musulmanes. Mahomet, à côté du pèlerin de Florence, me produit l’effet d’un homme sec et pauvre. De tous les