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discrète et de la plus prudente sobriété. Il n’en est pas de même dans l’Islam où les théologiens ont accepté et respecté les mythes et les légendes. Le Coran nomme cette zone, qui sépare les bienheureux des réprouvés, El Aaraf, qui signifie la partie supérieure du voile, par extension la limite entre deux choses. Le mot limbus signifie en latin : bordure de vêtement, bande. Mais il n’a pris le sens de demeures d’outre-tombe qu’au XIIIe siècle, alors qu’El Aaraf avait déjà ce sens du temps de Mahomet. Les tableaux que nous font les traditions musulmanes d’El Aaraf sont très variés. Tantôt c’est une vallée riche en arbres fruitiers et baignée d’eaux vives, tantôt un val profond entre deux montagnes, tantôt une enceinte de hautes murailles. Quand on songe aux sept portes de l’Enfer islamique il semble que Dante ait voulu fondre dans sa peinture et cet Enfer et cette vallée souriante, pour mieux symboliser la nature hybride des Limbes. Il les peuple comme ceux de l’Islam ; et leurs habitants, suspendus entre deux régions, ne souffrent, comme ceux de l’Islam, que du désir.

Dante ne trouvait pas plus le modèle de son Enfer dans les légendes chrétiennes qu’il n’y avait trouvé celui de ses Limbes. Ni la Bible, ni les Evangiles, ni les Pères ne s’étaient préoccupés d’en déterminer la figure. Mais, si le Coran ne dit rien de sa topographie, les traditions musulmanes le représentent tel que Dante l’a vu, sous Jérusalem, en forme d’entonnoir avec des cercles concentriques et chaque étage habité par une certaine catégorie de damnés. Dans son grand ouvrage Les Révélations de la Mecque, Abenarabi a consacré de longs chapitres à la description de cet Enfer qu’il avait illustrée de dessins exactement pareils à ceux des éditeurs de Dante. Les ressemblances de détail sont nombreuses et impressionnantes. Dante et Virgile marchent toujours dans la direction de gauche, jamais vers la droite. Si c’est une allégorie comme l’ont cru plusieurs commentateurs, elle vient des Mystiques arabes et en particulier d’Abenarabi, qui prétendent qu’il n’y a pas de droite pour les habitants de l’Enfer de même qu’au ciel il n’y a pas de gauche. Les Sodomites subissent un châtiment tiré de l’Enfer islamique. Nus sous une pluie de feu, ils sont condamnés à tourner sans cesse comme des gladiateurs dans le cirque romain. Dante reconnaît parmi eux son maître Brunetto Latini ; il l’accompagne et, tout en marchant, il se lamente de