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l’Enfer musulman comme l’Enfer chrétien, et, à la porte de l’un et l’autre, des gardiens également irrités et féroces arrêtent les voyageurs. Un démon poursuit Mahomet avec un tison enflammé, comme un démon noir, dans le huitième cercle, court sur Dante les ailes ouvertes, le pied léger, et armé d’un harpon. Les serpents qui torturent les tyrans, les tuteurs sans conscience et les usuriers de l’Enfer musulman lient les mains, ceignent les reins, mordent les épaules des voleurs de l’Enfer chrétien. Le tourbillon qui emporte éternellement les adultères du cercle dantesque ressemble à ces flammes qui sortaient comme de la gueule d’un four et où Mahomet vit s’agiter des hommes et des femmes : ils montaient et descendaient selon que l’ardeur du feu augmentait ou diminuait ; et ce rythme incessant s’accentuait de leurs lamentations. Lorsque Dante pénètre dans la ville infernale de Dité, il aperçoit, « de chaque main, » une vaste campagne, un immense cimetière où les tombeaux, séparés par des flammes, se convertissent en fils de feu. Tous les couvercles sont soulevés, et il s’en échappe de durs gémissements. Mais Mahomet avait aperçu des plages où déferlait un océan de flammes et où des milliers de cercueils incandescents formaient une ville ardente. Les usuriers musulmans, comme les tyrans dantesques, nagent à perdre haleine dans un lac de sang, vers une rive d’où les chassent les démons en leur jetant des pierres brûlantes. Au huitième cercle de l’Enfer, les alchimistes et falsificateurs Griffolino d’Arezzo et Capocchio de Sienne grattent furieusement avec leurs ongles la lèpre qui les recouvre et dont les croûtes tombent autour d’eux comme des écailles de poisson : c’est le supplice des calomniateurs dans l’Enfer musulman.

Sur les pentes du Purgatoire, Dante voit en songe une vieille femme bègue, aux yeux louches, aux pieds tors, aux mains tronquées, au teint blafard ; mais son blême visage se colore des couleurs de l’amour et elle se met à chanter à voix de sirène : « Celui qui s’attarde avec moi rarement s’éloigne, tant je le charme. » Aussitôt une Dame apparut sainte et empressée, qui saisit la vieille et, lui déchirant sa robe, la montra toute nue, et la puanteur qui sortait d’elle réveilla Dante. Mahomet, lui, vit une femme qui cachait les flétrissures de l’âge sous de splendides ornements et qui, par la séduction de ses paroles et de ses manières, essayait de l’attirer à elle. Et Gabriel lui