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disciples que, dans son sommeil, un homme se présenta à lui, le prit par la main, le conduisit au pied d’une montagne abrupte et lui dit qu’il devait la gravir jusqu’au sommet. Chemin faisant, il rencontre d’horribles supplices : les châtiments des pécheurs. Puis il arrive à un endroit où dorment tranquillement à l’ombre ceux qui moururent dans la foi de l’Islam ; et leurs fils jouent et se promènent à travers un jardin de délices. Plus haut, des hommes lui apparaissent tout blancs et très beaux, qui exhalent un parfum exquis : ce sont les amis de Dieu, les martyrs et les saints. Mahomet reconnaît parmi eux son fidèle Zéid et deux de ses amis qui tombèrent sur le champ de bataille. Enfin, levant les yeux vers le ciel, il aperçoit le trône de Dieu, Abraham, Moïse et Jésus. Tel est l’embryon de la légende qui va bientôt se développer et dont les développements préciseront la topographie du voyage, 3n varieront les épisodes, multiplieront les supplices infernaux et les visions paradisiaques, amplifieront les horreurs et les éblouissements. Elle sera complète et fortement établie au IXe siècle.

Les mystiques et les philosophes s’en emparent et en font des transpositions symboliques dont les dernières et les plus parfaites sont celles du prince de la mystique hispano-musulmane, le Murcien Abenarabi. Vingt ou vingt-cinq ans avant la naissance de Dante, il nous en laisse deux : l’une, le Livre du Voyage nocturne, encore inédite ; l’autre, dans son grand ouvrage, les Révélations de la Mecque. Il imagine l’ascension d’un théologien et d’un philosophe de sphère en sphère jusqu’à celle de Saturne. A chaque étape, chacun d’eux rencontre le guide et le maître qui lui convient : dans le premier ciel, Adam et l’Esprit de la Lune ; dans le second, Jésus avec Jean-Baptiste et Mercure ; dans le troisième, le patriarche Joseph et Vénus ; dans le quatrième, Enoch et le Soleil ; dans le cinquième, Aaron et Mars ; dans le sixième, Moïse et Jupiter ; dans le septième, Abraham et Saturne. Le philosophe, guidé par la raison naturelle, ne peut monter plus haut. Le théologien, lui, traverse les sphères des étoiles fixes et des constellations et parvient jusqu’au trône de Dieu. La musique des sphères célestes le ravit en extase. Il s’élève au séjour de la Matière corporelle universelle, de la Nature universelle, de l’Ame universelle et de l’Intellect. De là, il pénètre dans le