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viennent-elles ? Graf, qui n’a laissé que la littérature islamique en dehors de ses investigations, avoue son ignorance. Et la littérature islamique est la seule qui les explique. La plupart des légendes chrétiennes, comme la Vision de Tundal, celle de saint Patrice, de saint Paul, du moine Albéric, plaçaient les Justes dans un lieu qui n’est pas le ciel théologique et où ils attendent le jour du Jugement dernier. Or, depuis le Ve siècle, l’Eglise les admettait immédiatement à la vision béatifique et jugeait hérétique la doctrine opposée. Mais l’Islam supposait toujours que les âmes des Justes, de la mort à la résurrection, résidaient dans des lieux de délices dont la félicité ne pouvait encore se comparer à la gloire éternelle. La description de ces lieux de délices s’accorde avec les épisodes des légendes chrétiennes. Y a-t-il un témoignage plus évident, se demande M. Asin, de leur origine extra-catholique ? Aussi est-il naturel que l’Eglise ne les ait jamais approuvées. En les répudiant, elle semble avoir deviné, sous le voile, de leur poésie, une dogmatique contraire au Credo occidental.

Cette preuve ne me persuade pas absolument. Les auteurs de légendes ne se soucient pas toujours de l’orthodoxie de leurs fictions, et, depuis la thèse de Gaston Paris sur l’origine orientale des Fabliaux réfutée par M. Bédier, je me sens incliné au scepticisme. Mais enfin admettons qu’avant la Divine Comédie les conceptions poétiques de la vie d’outre-tombe, issues du christianisme, aient subi la contagion de la littérature islamique, et que Dante qui s’en inspirait (en y apportant toutefois les précautions d’un savant théologien), se fût fait à son insu le tributaire de l’Islam : ce n’est pas cela qui est intéressant. La Divine Comédie renferme d’autres éléments qu’on ne rencontre que dans les légendes, arabes et qui semblent tels que Dante ne pouvait ignorer d’où il les tirait.

La légende de l’Ascension de Mahomet et de son voyage nocturne est née d’un court et, obscur passage du Coran que voici : « Louange à Celui qui a transporté, pendant la nuit, son serviteur du temple sacré de la Mecque au temple éloigné de Jérusalem, dont nous avons béni l’enceinte, pour lui faire voir nos miracles. » Cette mystérieuse allusion excita la curiosité et l’imagination musulmanes, et un livre entier ne suffirait pas à contenir l’étude des légendes qui en sortirent. Leur première forme est très simple. Mahomet raconte à ses