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qu’à l’assaillant qui s’avance à découvert, nos troupes s’étaient figées, de par leur règlement, dans des positions choisies à l’avance, et ce mépris de la manœuvre avait été cruellement puni. En outre, nous avions attendu l’ennemi sur notre territoire au lieu d’attaquer hardiment sur le sien. Nous serions impardonnables de retomber dans de telles fautes. L’assaillant, par le seul fait qu’il attaque, soumet le défenseur à sa volonté et prend sur lui un ascendant moral qui, avec des troupes françaises, multiplie toutes les brillantes qualités de la race, l’entrain et l’initiative, qui s’atrophient dans la défense. Il est d’ailleurs évident que, par définition, la défense passive ne peut obtenir aucun résultat positif, puisqu’elle a uniquement pour but d’empêcher les progrès de l’attaque : Faire la guerre, c’est attaquer.

Les conséquences de ces vérités avaient été poussées à l’extrême. À toutes les époques il est arrivé que, sur certaines parties du champ de bataille, l’assaillant lui-même soit amené à prendre une attitude défensive, tout au moins provisoirement, et à y attendre le résultat de sa manœuvre. Presque toujours d’ailleurs, la défense s’accompagne de contre-attaques prévues dont peut résulter une avance du défenseur, soit limitée dans son but, soit commencement d’une véritable attaque qui se terminera par une grande victoire, comme à Austerlitz, par exemple. Renoncer à toute défensive, c’est renoncer à toute manœuvre et se condamner à une attaque frontale, toujours la même, proie facile pour les manœuvres de l’ennemi prévenu. Plus le champ de bataille s’étend, plus il contiendra de zones défensives : Où ? Quand ? Comment attaquer ? C’est là toute la guerre.

Mais une surenchère d’offensive sévissait dans tous les milieux militaires. Au nom de l’« unité de doctrine, » soigneusement gardée par la « discipline intellectuelle, » l’offensive s’imposait à l’état de dogme intangible, ses fervents rivalisaient d’ardeur, et c’est à qui se montrerait le plus agressif. C’est peut-être ici le lieu de remarquer que ces formes de croyances religieuses données aux idées militaires ont eu une malheureuse conséquence qui pesa lourdement sur la durée de la guerre : après les premiers échecs, dus à l’emploi de procédés vicieux, le dogme s’écroula dans beaucoup d’esprits superficiels et devenus sceptiques ; et un peu plus tard l’offensive fut déclarée impossible par d’autres théoriciens qui arrivèrent au