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Angleterre le siège du Conseil. M. Clemenceau avait résisté en faisant remarquer à M. Lloyd. George que la distance était sensiblement la même de Paris à Londres que de Londres à Paris et qu’il était aussi difficile pour le Président du Conseil français que pour le premier ministre de la Couronne de multiplier les séjours à l’étranger. Le débat finit par une transaction : il fut convenu que les premières conversations auraient lieu à Londres et que le traité serait signé à Paris. M. Clemenceau s’est donc imposé la fatigue d’une traversée. M. Millerand, à son tour, s’est rendu deux fois en Angleterre et le Conseil suprême, qu’on pouvait supposer mort ou moribond, a ressuscité sous d’autres cieux.

Peut-être n’est-il pas mauvais qu’au lendemain du jour où il a pris le pouvoir, M. Millerand ait eu ainsi l’occasion de conférer personnellement avec MM. Lloyd George et Nitti et d’établir entre eux des relations directes et amicales. Mais le chef du gouvernement français a l’esprit trop méthodique et est trop accoutumé à la pratique des affaires pour n’avoir pas immédiatement aperçu les inconvénients des entretiens à bâtons rompus qu’on a voulu substituer aux anciennes procédures diplomatiques. Des négociations qui suivraient les voies régulières et qui seraient confiées, sous la surveillance et la direction des gouvernements, à des hommes du métier, seraient cent fois plus efficaces et plus sûres que ces éternels va et vient à travers la Manche. Les peuples pourraient tout aussi bien, être renseignés sur des conférences de diplomates que sur des réunions de premiers ministres. Les chefs de gouvernement resteraient à leur poste et donneraient, de haut, des ordres à leurs délégués. Chacun serait à sa place et la raison n’y perdrait rien. Puisse le Conseil suprême s’endormir enfin du dernier sommeil ! C’est une mort qui, je crois, n’attristera ni M. Millerand, ni la Chambre, ni le pays.


RAYMOND POINCARE.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.