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Bossuet et Ferry discuter gravement sur la conception la plus probable et l’expression la plus correcte des mystères, Paul Ferry vit entrer deux de ses coreligionnaires qui venaient l’entretenir de la part « de M. le lieutenant général du bailliage[1], M. de la Voitgarde, et de M. le lieutenant du Roi, M. Etienne d’Augny. » Ces officiers leur avaient déclaré, — « en laissant entendre qu’ils parlaient au nom du Roi, » — « que Sa Majesté désirait passionnément de voir tous ses sujets réunis en une même créance ; que ce serait une couronne ajoutée à la sienne ; qu’ils en conférassent donc avec les quatre pasteurs, et eux avec peu d’autres ; et en cas qu’ils y trouvassent les esprits disposés, on choisirait de part et d’autre, en pareil nombre, gens paisibles, qui conféreraient ensemble, sans disputer, des moyens de s’accorder… »

Le vieux Ferry fut bien surpris. « Assurément, il n’y avait point d’ordre du Roi, et je leur en dis mes raisons, » — « et je leur dis aussi que le sentiment de ceux qui m’avaient parlé était que cela ne se fit qu’en une assemblée générale du royaume, mais qu’auparavant il y aurait bien des pourparlers à faire encore. » Et le mercredi suivant, aux pasteurs ses collègues, aux Anciens, aux notables, il exposa les choses. Il leur narra ses conférences avec Bossuet, et l’objet et le bon résultat, mais il ajouta sincèrement « que les réformés de Metz devaient se prémunir contre une surprise et ne pas séparer leur cause d’avec celle de leurs frères de France. »

Car c’est bien cela que, selon la formule de l’intendant Pellot, on essayait : pour dissoudre, — la réunion partielle, avec adhésion aveugle, préalable, et explications ultérieures, facultatives. Circonvenir et isoler l’Eglise messine, obtenir d’elle, séparément, « un acte » qui, en l’engageant, pèserait sur le reste des Eglises françaises ; voilà ce que les deux lieutenants du roi à Metz prétendaient : diviser pour dissoudre. C’était le contraire de ce que Bossuet avait cru pouvoir nettement promettre. « Cette affaire, avait-il écrit, regardant la religion et la conscience, doit être premièrement traitée entre les théologiens, pour voir jusqu’à quel point elle pourra être acheminée. Après quoi, la piété du Roi l’engagera, n’en doutons pas, à faire tout ce qui se pourra pour un ouvrage de cette importance, sans violenter

  1. Corresp., I, 466 et suiv. J’emprunte en partie le résumé de ces démarches au très bon livre de Thirion, Histoire du protestantisme à Metz, p. 271 et suiv.