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similitude du blé et de l’ivraie dans le champ du maître, il faut attendre pour arracher l’ivraie à la fin de la moisson, c’est-à-dire la fin du monde ? » « Ne semble-t-il qu’on pourrait reprocher à ceux qui ont travaillé à la Réformation de l’avoir faite prématurément et qu’ils devaient la laisser faire à Jésus-Christ » à la consommation des siècles ?

Je sais bien que tout de même Ferry se rassurait. « L’événement a vérifié que c’était une œuvre de Dieu… Ceux à qui Dieu faisait connaître la vérité, ne pouvaient, en conscience, la garder pour eux… S’il n’y avait pas impossibilité absolue de se sauver dans l’Eglise romaine, cela était tellement difficile ! Il fallait épargner à Dieu la peine de faire tant de miracles, » etc.

Qu’était-ce pourtant que toutes ces braves réflexions, sinon un plaidoyer pour la Réforme plutôt qu’une glorification, sinon faire valoir moins ses raisons d’avoir été que ses excuses ? Encore que la Réformation ait été faite « entièrement pour la gloire de Dieu, pour le règne de Jésus-Christ, pour la conservation de la vraie religion chrétienne, elle n’a pas été aussi nécessaire que nous l’avons cru pour le salut des Elus en particulier. » D’un certain point de vue, le schisme fut regrettable. Et, s’il est exécrable à présent et pernicieux, que faire ?

Ferry, en 1654, n’osait pratiquement conclure ; mais on voyait bien dès lors son secret sentiment.


III. — BOSSUET ET LE PROTESTANTISME EN 1666

En regard de cette franchise qui ne craignait ni les aveux ni les avances, quels sentiments apportait le négociateur catholique ?

D’abord, pour son partenaire une vraie sympathie. Si le jeune zèle de Bossuet avait cru devoir en 1655 réfuter avec une vivacité sévère ce Catéchisme de la Réformation, où pourtant s’ouvraient tant d’accueillantes avenues, tant de possibilités d’abouchement, — s’il avait mis quelque parcimonie à reconnaître que Ferry n’était pas aussi « chagrin, » aussi injuste que ses confrères, tout de même il lui avait rendu justice. Et quand il traçait ce beau portrait du « théologien sincère, qui ne dissimule pas plus sa propre créance qu’il ne méprise celle de ses adversaires, qui adoucit les choses tant qu’il peut, qui aime mieux être indulgent qu’injuste, » qui, « bien loin de