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sacrifiés. Tous les manuscrits de fortune douteuse seront mis au rancart. Et non seulement les jeunes, mais tous ceux dont l’œuvre ne s’adresse qu’à un public restreint, et parmi lesquels il en est qui font honneur à la pensée française et témoignent hautement pour elle vis-à-vis de l’étranger. Quel ralentissement de l’activité littéraire ! Et comme résultat pratique : une formidable diminution du travail pour la typographie française. D’autant plus que ce qui est vrai pour les éditeurs d’ouvrages l’est aussi pour les éditeurs de revues. Seules subsisteront celles qui, à cause de leur intérêt exceptionnel, de leur éclatant passé et de leur caractère indispensable, ont la ressource de pouvoir tant soit peu élever leur prix de vente lorsque de trop accablantes surcharges les y contraignent.

Faut-il signaler, pour les éditeurs de livres et de revues, ainsi acculés aux expédients, un palliatif, — auquel, nous l’espérons bien, la plupart, par scrupule patriotique, ne voudront pas recourir : la licence que la loi de douane leur assure de pouvoir faire entrer en franchise dans notre pays les livres de langue française imprimés ailleurs ? Quelle tentation pour eux de mettre à profit cette loi, — véritable attentat contre l’industrie et le travail de chez nous, et attentat aussi contre le bon sens, — qui, frappant de droits à la frontière tous les produits nécessaires à la confection des livres, en exonère les livres tout fabriqués !

En Angleterre, — où le papier est beaucoup moins cher qu’en France à cause de l’abondance du charbon à un prix moindre (il faut 2 kilos de charbon pour fabriquer 1 kilo de papier), et où d’ailleurs il pénètre en franchise et dans des conditions moins lourdes par suite des transports plus faciles, — à égalité de salaires la fabrication des livres restera longtemps moins dispendieuse.

En Belgique, l’introduction du papier est non moins libre. Pas de droits de douane. Transports aisés et moins coûteux que chez nous. Et, comme dans ce pays, la vie sera toujours à meilleur marché que dans le nôtre, le salaire de la main-d’œuvre y sera nécessairement moins élevé. Double raison pour que le prix de revient des livres reste moindre qu’en France.

Les travailleurs français du Livre ont-ils envisagé ces évasions possibles du travail ? Alors, comme ils ont, — s’ajoutant à l’intérêt national qui domine et rassemble tous les intérêts