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II. — LA MAIN-D’ŒUVRE

Reste la question de la main-d’œuvre. Elle est compliquée et délicate, étant donné qu’il s’agit ici de 470 000 ouvriers, et les plus intéressants.

Par leur formation et le genre de leur travaille typographe et l’imprimeur ont toujours constitué une élite ouvrière. Ils en éprouvent de la fierté. Jusqu’à la guerre, leurs salaires étaient facilement supérieurs à ceux des autres corporations. Depuis 1914, le triomphe de la métallurgie, plus immédiatement utile à la victoire, les a dépossédés de ce privilège justifié. Ils ont vu soudain de simples manœuvres, des gens sans métier, gagner plus qu’eux. Leur amour-propre, qui en souffrait, les a rendus plus sensibles aux tourments de la vie chère. Pour vivre et élever leur famille conformément à leur situation dans le monde des travailleurs, ils ont réclamé des augmentations successives de salaires. Et les ouvriers des autres professions du Livre ont bénéficié de leurs revendications.

Ils savent notre souci de toutes les améliorations raisonnables à leur sort. Les réflexions que nous allons faire, pour le bien de tous, ne peuvent donc pas leur être suspectes. Nous voudrions les mettre en garde contre des satisfactions qui demain peuvent être dérisoires.

Ne reconnaîtront-ils pas avec nous que, si le plus souvent les accroissements de salaires vont à d’utiles dépenses, bien des fois c’est en vaines et coûteuses fantaisies qu’ils sont dilapidés. S’il est nécessaire que la nourriture des travailleurs manuels reste saine et suffisante malgré l’élévation des prix, et qu’ils puissent se vêtir convenablement, le goût du plaisir, — presque toujours si décevant, — et du luxe, — presque toujours affreux, — est beaucoup moins légitime. Or quel ouvrier clairvoyant et sincère, menant avec sagesse une existence sérieuse, pourrait nier que trop de fois l’argent des hauts salaires ne s’en aille au cinéma et au café-concert, ne s’éparpille aux vertigineux tournoiements des manèges forains et en visites trop fréquentes au cabaret, en ruineuses satisfactions de coquetterie, de fanfreluches et de toilettes ?

Puisque, avec la frénésie actuelle de luxe et de plaisir qui sévit dans tous les milieux sociaux, c’est, chez, trop de gens, à