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modeste pour lesquels c’était jusqu’ici le plus réel plaisir et le meilleur moyen de développement intellectuel, devient, à cause de son prix trop élevé, presque introuvable à l’étranger !

Et, ce qui avive nos regrets, il en est ainsi dans les régions mêmes, proches de nos frontières reconquises, où nous aurions le plus d’intérêt à ce que la pensée française pût exercer sous cette forme sa bienveillante influence. Dans le Palatinat, dans les Pays rhénans que notre rôle tout naturel est d’aider à s’affranchir moralement et politiquement de l’emprise prussienne, presque pas de livres français. On n’y trouve guère, comme partout en Allemagne, que certaines publications à bas prix qui sont loin d’être toujours des volumes dont nous puissions nous enorgueillir, et qui ne font pas plus honneur à la typographie française qu’à la littérature française. Préjudice immérité car, malgré la misère des temps et les difficultés d’ordre économique, jamais l’Edition de chez nous ne fit plus heureux effort qu’en ces toutes dernières années et ne donna mieux le sentiment d’un hardi renouveau. Lacune fâcheuse d’où peut résulter un discrédit tout à fait injuste car, en dépit de la guerre et d’un état moral peu propice aux fortes et calmes créations intellectuelles, notre littérature contemporaine offre quantité d’ouvrages qui peuvent accroître l’estime du monde pour nous.

Au cours d’une randonnée à travers les provinces rhénanes, M. le bâtonnier Henri-Robert, en patriote et grand lettré qui se soucie de voir le livre français servir le plus possible au dehors l’influence de notre pays, observait avec un peu d’inquiétude que, malgré douze mois d’occupation et la présence de nos officiers et de nos soldats, nos livres de France n’apparaissent pour ainsi dire pas dans les magasins des libraires rhénans. Nos trois couleurs flottent sur les rives du Rhin, mais notre pensée n’y rayonne pas. Notre drapeau n’est pas enveloppé de l’atmosphère intellectuelle et morale qui pourrait le mieux accroître le bienfait de sa glorieuse présence. Et à son tour, complétant cette indication dont on ne saurait manquer de s’émouvoir, le colonel Alvin, un des meilleurs collaborateurs de notre Commissaire général de la République, nous exprimait sa préoccupation de voir, sur les bords du Rhin, les livres français trop coûteux refoulés par l’invasion des livres allemands très bon marché, dont le bas prix est diminué encore par le cours du change si préjudiciable au mark.