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outre, cette attestation de Darlot permet de supposer que Damont et Gourlet, ayant comme lui reconnu le Dauphin, ont été pareillement invités à rédiger une déclaration similaire : ils ne l’ont pas fait : est-ce donc qu’ils s’y sont refusés ? Et puis, on se rappelle aussi les propos tenus naguère devant Hue et devant Frotté par des conventionnels importants ; ils dépeignaient le prisonnier du Temple comme étant transformé par l’abêtissement, « dénaturé au physique et au moral, » devenu objet de dégoût. Si, vivant encore, il eût été méconnaissable pour Frotlé et pour Hue qui, lui, avait vécu avec le Dauphin, au Temple même, comment un petit bourgeois de Paris qui ne l’avait jamais aperçu que de loin, au temps des Tuileries, pouvait-il retrouver les traits du petit prince sur ce visage figé par la mort ?

Cependant les quatre praticiens poursuivent leur funèbre travail : Lasne, Damont entrent de temps à autre. Pelletan procède seul à l’ouverture du corps étendu sur une table dans cette antichambre où, jadis, le Dauphin a si souvent joué ; c’est lui qui scie, « au niveau des orbites, le crâne préalablement dépouillé de tous ses cheveux et de sa peau, coupée et rabattue en quatre sections triangulaires ; » c’est lui aussi qui, l’opération terminée, « répare » le cadavre, replace les viscères, éponge, tamponne, serre les bandes. Comme ses collègues, ainsi que « les gardiens », sans doute pour se soustraire à l’odeur méphitique, se tiennent dans la profonde embrasure de la fenêtre, Pelletan profite de leur éloignement pour s’emparer subrepticement de « quelques restes précieux ; » il roule le cœur de l’enfant dans une serviette et le met dans sa poche. Pour finir, il rabat sur le crâne les lambeaux de peau disjoints, les rapproche par d’habiles sutures, enveloppe toute la tête « chauve » d’un linge ou d’un bonnet de coton qu’il fixe « au-dessous du menton ou de la nuque ; . » et, les boucles de cheveux du mort reslant là, destinées aux balayures, il laisse Damont s’en saisir et les emporter sans qu’aucun autre des assistants ait paru s’aviser de cette soustraction. À quatre heures et demie, tout était terminé, et le corps reporté dans la chambre à coucher fut déposé sur l’un des lits ; les médecins quittèrent le Temple où leur visite, qui ne put rester inaperçue ni des officiers, ni des soldats de garde, ni de l’économe Liénard, ni des employés ou serviteurs de la maison, fut sans doute