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émouvante pour n’être pas inébranlable, au regard de laquelle toute compétition était d’avance condamnée à demeurer vaine.

Au Temple on travaillait à ce que l’escamotage prémédité s’effectuât sans esclandre. Quand, à midi, la garde fut relevée, arriva le nouveau commissaire de service : c’était Darlot, délégué de la section de la Réunion. Après les formalités d’usage, on le fit entrer à la salle du Conseil où Damont, Lasne et Gomin, laissant les chirurgiens à leur besogne, étaient descendus pour le recevoir. Soit qu’ils éprouvassent quelque embarras, soit qu’ils cherchassent à s’accorder encore du répit, il se passa « quelque temps » avant que Lasne et Gomin exposassent au nouveau venu « le motif grave » pour lequel Damont, qui aurait dû quitter le Temple à l’arrivée de Darlot, s’y trouvait encore, » bien que son service fût terminé » : — « le fils de Louis Capet était mort la veille sur les trois heures de relevée. » Et aussitôt on invita Darlot à monter au second étage ; il y consentit, pénétra dans l’antichambre où « quatre citoyens, occupés à écrire, se levèrent dès qu’il parut ; » c’étaient les médecins notant déjà leurs observations ou rédigeant les préliminaires de leur procès-verbal : ils conduisirent Darlot dans la pièce voisine : le petit cadavre était là, sur un lit de sangle ; un drap le recouvrait ; l’un des chirurgiens souleva ce linceul et Darlot, « vivement frappé » à l’aspect de ce visage « qui n’était encore nullement défiguré, » attesta « très franchement qu’il remettait très bien cet enfant mort pour l’avoir vu plusieurs fois se promener au jardin des Tuileries, avec tout l’appareil du fils de Louis Capete et dans le petit jardin où il y avait des lapins. » Cette déclaration si nette parut à ce point opportune que, à peine redescendus à la salle du Conseil, Lasne et Gomin pressèrent Darlot d’en consigner les termes par écrit dûment signé et paraphé. Précaution bien singulière qu’on s’expliquerait seulement si quelque incrédulité s’était manifestée chez le personnel de la prison ; il n’en était rien, puisque personne au Temple n’était encore informé de la mort du prisonnier : on allait l’apprendre en même temps que le résultat de l’autopsie ! Comment les gardiens prirent-ils sur eux d’inviter à cette déclaration formelle, mais maladroite, ce commissaire obligeant ? Bien maladroite, en effet, car le souci d’authentiquer ainsi par un témoignage d’occasion la personnalité du mort, établit qu’on était autorisé à la mettre en doute ; en