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l’ordonnance et à lui « administrer » les remèdes prescrits. Mais, vers deux heures, après avoir pris une cuiller de la potion, le pauvie petit fut secoué d’une sorte de râle ; une sueur froide mouillait son front ; il semblait qu’il allait mourir. Pris de peur, Lasne et le commissaire dépêchèrent à Pulletan un cavalier encore, porteur de ce mot pressant : « Citoyen, une crise des plus violentes vient de prendre au malade ; il est de la plus indispensable nécessité que vous vous rendiez sur-le-champ auprès de lui… »

Pourtant l’alerte prit fin : Damont quitta la chambre, soit que l’heure du diner l’attirât à la salle du Conseil, soit qu’il s’y rendit pour mettre au courant le registre-journal de la prison. Ce n’était pas une sinécure, car il y fallait non seulement consigner les moindres incidents du service, mais y copier intégralement la correspondance échangée avec le Comité, les lettres expédiées et reçues, les bulletins des médecins… Soit donc que Damont s’occupât à ce travail, soit qu’il se fût attablé à l’heure ordinaire pour ne point donner l’alarme au personnel de la prison, Lasne était seul dans la chambre du malade ; après une heure environ de repos, celui-ci fut repris de suffocations ; il fit signe à son gardien « qu’un besoin le tourmentait. » Lasne le souleva dans son lit ; le mourant lui passa les bras autour du cou ; un grand soupir sortit de sa poitrine et « il passa… » Il était trois heures moins quelques minutes.

D’après Damont, Gomin rentrait à ce moment-là au Temple, revenant du Comité de Sûreté générale ; il pénétra dans la chambre comme l’enfant venait de mourir. Celui qui aurait pu entendre les paroles échangées à ce moment entre les deux gardiens du Temple connaîtrait peut-être le mot de l’énigme historique que ce trépas presque subit allait tout à coup élucider, à moins qu’il ne la rendît à jamais indéchiffrable. Ni Gomin, ni Lasne n’avaient prévu la fin du prisonnier, malade seulement « depuis deux jours » et qui n’était alité que depuis quelques heures. Comment l’idée vint-elle à l’esprit de ces deux subalternes, — qui n’avaient montré jusqu’alors aucun esprit d’initiative et n’agissaient en tout que par ordre, — comment l’idée leur vint-elle de tenir secrète la mort de cet enfant, comme si elle eût posé un problème dont la solution dépassait leur compétence ? Avaient-ils donc reçu des