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C’est donc à la prison du Temple qu’on doit suivre les péripéties de ce dénouement plein d’à-propos, avec l’espoir de constatations moins fuyantes que celles jusqu’à présent recueillies : on serait en droit de croire, en effet, que, malgré l’indifférence affectée par le gouvernement français, il comprend l’importance de l’événement et que, ne fût-ce que par déférence pour les Puissances étrangères avec lesquelles il traite, la surprenante disparition de l’enjeu si âprement discuté va être éclairée et authentiquée de façon à jamais inattaquable. — Erreur ! Soit inexcusable négligence, soit volonté très arrêtée de rendre le mystère impénétrable, on ne trouvera autour du petit cadavre que confusion, obscurité, incertitudes, affecta-lion de fausse publicité, dissimulation et détours manifestes.

Harmand de la Meuse et ses collègues du Comité sont venus au Temple le 19 décembre 1794. Le récit de leur inspection est la dernière relation qu’on possède émanant de visiteurs « ayant vu » le prisonnier vivant : il était, à cette époque, bien portant, et l’on sait, par les menus consignés aux comptes de l’économe Liénard, que jusqu’à la fin de germinal, tout au moins, le régime de l’enfant indique un parfait état de santé. Doit-on accepter un témoignage très différent, émanant d’un voyageur anglais, dépourvu de toute préoccupation historique, qui, au temps de la Restauration, fit, par hasard, rencontre d’un commerçant de Paris, ancien commissaire civil en 1795. Ce sectionnaire, de garde au Temple, avait obtenu, disait-il, de Lasne et de Gomin, l’autorisation de pénétrer dans la chambre du prisonnier, « à condition expresse de ne pas lui adresser la parole. » L’enfant était au lit et demeura une heure sans bouger : enfin, devinant la présence d’un étranger, il demanda d’une voix faible « qui c’était. » N’ayant pas reçu de réponse, il se dressa, sortit ses jambes des couvertures, s’assit sur le bord du matelas et demeura là « dans une posture stupéfiante. » Le commissaire fut très étonné de la grande taille du détenu et « de ce qu’elle aurait pu être, s’il se fût tenu debout. » Le visage du malheureux était couvert d’ulcères et de boutons et il paraissait aussi qu’il y avait « des croûtes de gale derrière la tête. » Il rentra dans son lit, gardant toujours un silence farouche, se couvrit jusqu’au nez, tenant fixés sur le visiteur