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rétablissement de la Monarchie et « l’exil volontaire, » grassement payé, de tous les législateurs régicides qui jugeraient prudent de se soustraire aux rancunes du nouveau souverain, Lequinio proposa l’expulsion « du dernier rejeton de la race impure du tyran : » proposition logique et fondée, qui fut renvoyée aux Comités. Le problème dut paraître à ceux-ci difficile à résoudre, car près d’un mois s’écoula avant qu’ils publiassent le résultat de leurs méditations : le 3 pluviôse seulement, — 22 janvier 1795, — Cambacérès prit la parole en leur nom.

Il faut savoir, avant d’entendre son discours, que Cambacérès était l’un des « clients » du banquier Petitval, le châtelain de Vitry : c’est lui que Petitval aurait chargé, moyennant paiement d’une somme de 95 000 livres, « de s’occuper du fils de Louis XVI et de faire la preuve juridique de la substitution. » Deux hypothèses se présentent donc : ou bien Cambacérès croit que le Dauphin est toujours au Temple, et, dans ce cas, il va instruire l’Assemblée du sort qu’on réserve à ce malheureux orphelin : dans quelques semaines il aura dix ans : la République va-t-elle le laisser sans maîtres, sans soins, sans jeux, sans compagnons ? Condamnera-t-elle cet innocent à passer dans l’isolement et dans l’inaction, son enfance, son adolescence, sa jeunesse, son âge mûr, sa vieillesse, jusqu’à la décrépitude et jusqu’à la mort ? Puisqu’on s’occupe de lui, c’est le cas de traiter nettement cette harcelante question… Si, au contraire, Cambacérès est bien convaincu de l’identité royale de l’enfant qui est à Vitry, il n’a qu’à déclarer à la Convention que, ne voulant point livrer le fils de France aux ennemis du pays ; ne pouvant, d’autre part, le détenir à perpétuité, les Comités ont pris de sages mesures pour assurer son bien-être et son éducation et fait choix, dans ce dessein, d’une demeure sûre et confortable, située en pleine campagne, mais qu’on doit, par prudence, s’abstenir de désigner plus explicitement. Il est assuré, ce disant, de l’approbation unanime de l’Assemblée.

Mais Cambacérès se garde d’être précis : du vague, des phrases, des échappatoires ; il énumère d’abord les dangers que présente le maintien à la Tour du Temple « des individus de la famille Capet : » toute la Convention se croyant, d’après cet exorde, débarrassée de ce cauchemar, applaudit frénétiquement. Sur quoi, poursuivant son discours, le même Cambacérès prouve qu’il est tout aussi périlleux de bannir « ces mêmes