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Il ne s’agit donc pas seulement d’une curiosité. Mais ce qu’on voudrait savoir surtout, c’est comment est né cet admirable livre dont plusieurs chapitres ont paru ici même, et qui s’appelle L’Effort français. Livre de passion, — en est-il qui soient grands sans passion ? — mais d’une passion contenue, concentrée, et par cela même saisissante. Quelquefois elle éclate malgré elle ; une lueur illumine la page ; mais elle se voile : l’effet doit être produit par l’ensemble, par la dernière phrase aussi bien que par la première, par l’idée dominatrice. Cette intensité de vie dans cette sobriété de forme rappelle le grand art classique, ardent et digne. Œuvre de vérité aussi. Elle suit pas à pas l’histoire, donne des chiffres, des statistiques, invoque le témoignage même de l’ennemi. Il y a là de petits tableaux comparatifs d’une éloquence singulière. Rien que des faits rigoureusement contrôlés, certains ; devant ceux qui demeurent inextricables à l’heure présente, et que l’avenir seul expliquera, l’auteur nous avertit et se récuse ; il passe. C’est ainsi, véridique et passionné tout ensemble, qu’il nous donne l’épopée de notre armée, et plus spécialement de notre infanterie. Oui, c’est bien l’épopée moderne, non pas l’épopée claironnante d’autrefois, l’épopée des héros aux noms sonores ; elle n’a qu’un héros à la grande âme, et c’est la piétaille de France.

Ce grand livre, comment l’a-t-il composé ? La chose est à la fois très simple et très compliquée. Ceux qui avaient la charge de l’opinion publique, frappés de voir le puissant secours que M. Bédier leur avait spontanément apporté, lui demandèrent un livre sur la guerre. Rien de plus naturel. Mais connaître la guerre, quelle tâche ! Quelle tâche pour ce savant, qui du métier de soldat n’avait même pas les connaissances élémentaires pouvant servir au moins de point de départ ! Il doit tout apprendre : il apprendra. Il compulse les archives du ministère de la guerre ; on le rencontre dans les couloirs, sa serviette sous le bras ; à sa rosette de la Légion d’honneur, les factionnaires le prennent pour un officier supérieur habillé en civil. On le rencontrera bientôt en des endroits plus étranges ! Ces archives ne lui donnent pas l’impression de vie qu’il recherche. Il part donc pour le front ; il s’approche des généraux ; il se fait donner par les techniciens, qu’il sait choisir, les données dont il a besoin. Il est au grand quartier général, où la bienveillance du chef qui a compris l’importance du moral dans la guerre lui