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sur sa formation première, de l’étudier de faire le départ entre ce qu’il convient de retenir et ce qu’il convient de rejeter aussi. Des méthodes érudites il faut garder le principe, qui est un principe de loyauté. Examiner les questions à fond ; s’informer, s’entourer de la bibliographie indispensable pour ne pas retomber dans les erreurs anciennes et les éternels recommencements ; ne jamais rien avancer qui ne soit solidement prouvé ; ne jamais tromper les autres, et pour cela, ne jamais se leurrer soi-même ; lutter contre les puissances de paresse et de présomption qui guettent. — Mais éviter, en même temps, que ces méthodes scientifiques ne deviennent une sorte de mécanisme. Éviter que l’esprit soit étouffé, et que les malheureux chercheurs en arrivent à considérer la pensée originale comme un délit. Éviter le procédé, la formule, qui se substituent trop commodément à l’effort de la personnalité. Parti de la conception de l’histoire littéraire considérée comme une science, M. Bédier arrive peu à peu à la conception de l’histoire littéraire considérée comme un art. Tels nos bons humanistes de jadis, à la fois si savants et si souples…

Et quant à sa personne, n’allez pas croire qu’il ressemble à l’érudit, tel que se le figure l’imagination populaire ! Une haute stature. Non point du tout le dos voûté ou les épaules inégales du savant qui, pour avoir déchiffré tant de manuscrits, lu tant de livres, et tant écrit, semble se pencher toujours vers une table de travail invisible. Au contraire, le corps droit, de la fierté dans l’allure, de la noblesse. Le geste rare, le geste sobre. Il est peu d’hommes, dans ce grand tourbillon parisien, qui ne soient pris de fièvre et ne finissent par porter en eux je ne sais quelle trépidation ; M. Bédier n’a même pas l’air pressé. On se demanderait comment il fait tenir tant de choses dans sa vie, sans s’aider d’un peu de hâte, si on ne savait avec quel soin il sacrifie le superflu. A-t-il jamais cédé à la tentation de la conférence qui séduit tant de nos contemporains ? Jamais. Il n’est pas de ceux qui improvisent facilement : plût au ciel que tous les Français fussent comme lui ! Quand vous lui parlez, vous le voyez quelquefois qui hésite ; il a l’air de chercher ses mots. Mais prenez garde : il ne cherche pas ses mots, il choisit l’expression la plus exacte, la plus nette, la plus vigoureuse de sa pensée ; il l’a trouvée, elle sort, elle est cruelle aux sots ; et si vous avez dit une sottise, tant pis pour