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dans un monde, romain déjà, « où les rois couchent sous des toits de roseaux comme aux premiers jours des sociétés humaines. » Avec un soin d’archéologue, il a recherché, recueilli le détail des usages les plus anciens, les traditions, les cérémonies, et non pour le pittoresque, mais plutôt pour la qualité morale et sociale. À Rome, au temps d’Auguste, on disait « aussi vieux qu’Évandre, » ce qui n’était plus à la mode : il a montré son amitié, sa déférence cordiale pour le vieil Évandre et pour ce que signifie de durée pathétique ce bonhomme charmant et suranné. Après avoir célébré la fête d’Hercule, Évandre, le front ceint de peuplier, revient à la ville. Appesanti par l’âge, il s’appuie sur Énée et sur son fils et raconte l’histoire du pays, des bois et des villages : le bois que Romulus appellera le bois d’Asile, sous les rochers le Lupercal, la forêt de l’Argilète et le terrain marécageux qui sera le Forum. Il dit : « Ce bois, cette colline à la cime ombragée, je ne sais pas quel dieu, mais un dieu les habite. Nos Arcadiens ont cru plus d’une fois y voir Jupiter secouant son égide et assemblant les orages. » In primis venerare deus, disait Virgile au laboureur : cette pensée des Géorgiques anime l’Énéide aussi. Et, par les dieux, il n’entend pas les récentes imaginations des philosophes, mais bien les personnages surnaturels que les ancêtres ont vus autrefois et dont ils ont transmis d’âge en âge la mémoire et le culte. Les plus vieilles institutions et les hommes les plus nouveaux : Énée est un « moderne » au temps d’Auguste ; il est si moderne au temps de notre Louis XIV qu’une Mme de La Fayette ne lui trouve pas la dignité du caractère épique ; et si moderne de nos jours que l’on trouvait en lui l’inventeur de la pitié universelle et, peu s’en faut, le précurseur de Dostoïevsky, à l’époque où les romanciers russes nous proposaient une religion. Ce contraste des institutions et des hommes, c’est toute la philosophie de Virgile. Plus changent les hommes, plus il faut que les institutions demeurent : plus est mouvante et soumise à l’infinie variété des passions leur âme, plus il leur faut une contrainte. Énée, sans la contrainte que lui impose la volonté immuable des dieux, irait à sa perte. Et Rome, sans la contrainte de son passé impérieux, allait à l’abjection. Maro, prophète de la cité antique, apporte le témoignage de ta sagesse éprouvée à la cité nouvelle !…


André Beaunier.