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naufrage, les larmes qui accompagnent toujours une naissance humaine. Un tel symbolisme ne va pas sans quelque absurdité. Mais, au moyen âge, on avait accoutumé de croire que toute la nature est une allégorie de la divine vérité. Il est dit que les cieux racontent la gloire de Dieu : les cieux et, pareillement, toute la création. Dans les bestiaires, il est dit que le lion figure et a préfiguré le Christ ; car le lion, si le poursuivent les chasseurs, efface de sa queue la trace de ses pas : et le Christ s’est dissimulée bien que les Juifs n’ont pas su le reconnaître. En face de la création, les gens du moyen âge ont eu l’assurance qu’ils avaient une énigme divine à déchiffrer. L’erreur n’est pas évidemment là, mais dans le déchiffrement qu’ils ont accompli avec plus de hâte que de prudence. Et les belles œuvres des poètes leur ont semblé dignes d’être considérées, au même titre que la nature, comme des témoignages de la volonté surnaturelle. Est-ce une erreur ? C’est, de toute manière, un splendide hommage rendu à la poésie, même païenne : et d’autres certitudes ont été moins déférentes.

Voilà Virgile au moyen âge, et pourquoi on lui a décerné alors une admiration particulière : on aimait en lui ce qu’on plaçait en lui de vérité principale ; et pourquoi Dante l’a rencontré aux Enfers et l’a eu pour guide jusqu’à la fin du Purgatoire, jusqu’au séjour des Bienheureux. Cette aventure dernière le consacre.

Tout dérive de la quatrième Bucolique. Et, en définitive, cette prophétie, car c’en est une, comment la faut-il interpréter ? Quel est cet enfant qui va naître et sauver le genre humain ? Comme la Bucolique est dédiée à Pollion, ce fut l’hypothèse la plus simple d’imaginer que Virgile promettait à un enfant de ce consul cette destinée extraordinaire. Asconius Pedianus raconte qu’il voulut en avoir le cœur net et qu’il interrogea là-dessus le fils de Pollion : — Savez-vous quel était cet enfant que désignait Virgile ? — C’est moi ! répondit Asinius Pollion, flatté sans doute, et fier, et qui pourtant devait connaître qu’il n’avait pas rendu le monde une merveille de vertu et de bonheur. On a fait observer que d’ailleurs, s’adressant à Pollion, Virgile dit que cet enfant naîtra « sous le consulat » de Pollion. Gaston Boissier plaisantait aussitôt et notait que Virgile eût ainsi par trop diminué l’initiative d’un père et l’eût réduite à la coïncidence. Il avait, lui, son hypothèse, et qu’il a présentée avec son talent si aimable et-sa grâce maligne. À ce moment, Scribonia, femme d’Octave, était grosse : et l’enfant de Scribonia et d’Octave serait le sauveur du monde. Seulement, il advint que cet enfant fut, hélas !