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du Christ. Et l’évêque ou l’empereur commente la quatrième Bucolique. « Muses de Sicile, chantons un peu plus haut ! » Cela devient : « Ô Muses, célébrons la grande prophétie ! » La quatrième Bucolique est celle qui annonce la venue d’un enfant, nova progenies, envoyé du ciel sur la terre afin d’y rétablir la paix et afin d’y restaurer l’âge d’or : et la Vierge apparaîtra, le Serpent sera tué. « Quelle est cette Vierge, s’écriait l’évêque ou l’empereur, si ce n’est celle qui conçut de par l’Esprit saint ? Nous croyons que ces paroles, sous le voile de l’allégorie, ont tout ensemble leur clarté et leur obscurité. Je pense que le poète connut le mystère bienheureux de Notre Sauveur ; mais, pour éviter la cruauté des hommes, il a tourné les esprits vers les idées qui leur étaient familières en les exhortant à dresser des autels au nouveau-né. » Voilà l’interprétation la plus nette et hardie. Elle n’a pas été admise par tous les commentateurs chrétiens. Par exemple, saint Augustin ne fait, pas de Virgile un prophète : il lui attribue un moment de prescience et la faveur d’une inspiration divine. Et saint Jérôme lui-même, qui ne dissimulait pas le projet d’habiller la muse païenne en israélite, refuse de voir en Virgile un chrétien sans le Christ. Mais, le scrupule des savants ne prévaut jamais contre l’interprétation la plus nette et hardie. Au surplus, les païens avaient admiré, — on l’a vu dans les Saturnales de Macrobe, — la « science augurale » de Virgile : et, que l’augure devienne un prophète, on ne doit pas en être surpris. En pierre aux portails des églises, en verre au fenêtrage, le poète de la quatrième Bucolique fut placé dans le voisinage de la Sibylle, d’Ezéchiel et de Jérémie. Les Mystères de Noël le font intervenir, à la suite des prophètes ; on l’interpelle : « Maro, prophète des Gentils, apporte ton témoignage au Christ ! » Et lui : « Voici qu’enfin le nouvel Homme est descendu des cieux sur la terre ! » Il a repris un vers de la quatrième Bucolique et n’y transforme que la prophétie en un fait.

Dans l’Énéide, Vénus dit à l’Amour : « Mon fils, tu es ma force et ma toute-puissance. » Il parut que ces mots convenaient surtout à Dieu le père parlant au Fils : et l’on n’hésita point à certifier qu’ainsi la Vénus de l’Énéide prononce les paroles éternelles qui marquent le passage de la première à la deuxième hypostase et qui seront un jour prochain révélées à la créature. Il y a un livre de Fulgence, — De continentia virgiliana : « Du contenu, » ou plutôt, dit M. Bellessort, « Du sens caché de Virgile, » — où sont traduits en phénomènes chrétiens tous les épisodes et les détails de l’Énéide : le naufrage d’Énée signifie ou figure la naissance de l’homme et, l’eau du