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« notre Ronsard, » de Corneille, de La Fontaine, de Racine et de Boileau, bourgeois de Paris. Ce qu’il aime en eux et nous invite à aimer, c’est l’esprit de la France, tel que l’a formé, dans un espace étroit, le temps.

Avait-il réservé ce voyage ? il vient de l’accomplir : après l’Amérique et l’Asie, après la Scandinavie et sa neige, après les lies du soleil fleuri, l’Antiquité. Virgile a été son guide et son maître.

Terre connue, l’Antiquité, depuis des siècles que l’ont sans cesse parcourue les érudits et, à leur suite, les ignorants eux-mêmes qui ne se doutent pas qu’ils sont nourris d’elle et de sa vive substance ! Mais, comme elle dure, l’Antiquité se modifie d’âge en âge. Elle dure et elle a une réalité analogue à celle d’un souvenir : cette réalité s’appauvrit quelquefois, si les descendants sont distraits et laissent flâner leur mémoire ; ou bien elle s’enrichit, d’une manière assez aventureuse, quand l’imagination seconde la mémoire. Ces changements d’une réalité qui a grand’peine à se préserver, faut-il au surplus les comparer à ceux qui transforment un souvenir ? Le spectacle que nous avons sous les yeux dépend aussi de nous et de nos regards. Deux voyageurs qui arrivent de Chine vont nous montrer doux Chines différentes. Le moyen âge a vu dans la Grèce d’Homère et de Périclès et à Rome une féodalité de barons. L’Antiquité, pour les hommes de la Renaissance, a été le triomphe de la pensée libre ; et, pour nos compatriotes de 1848, elle a été la République : elle a porté le bonnet rouge en 93 et, en 48, la barbe longue. Au XVIIe siècle, nos poètes et nos moralistes l’avaient en quelque sorte dépourvue de ses caractères et de ses particularités pour la considérer comme une époque idéale, détachée des contingences du temps et de l’espace, et où vivait l’humanité emblématique. De nos jours, l’idée de l’histoire a pris un autre tour : et nous cherchons l’Antiquité authentique. Nous avons des méthodes et des sciences nouvelles. Athènes et Rome ne sont plus, pour nous, une éternité absolue, mais plus exactement des moments abolis de la durée ; nous sommes désormais, et fût-ce malgré nous, des archéologues.

L’Antiquité, qui est morte, survit et continue de vivre au cours des siècles, à la condition de se prêter au changement que subit toute chose humaine et vivante. Ni l’Antiquité du moyen âge, ni celle de nos écrivains classiques et ni même probablement celle que nos érudits recomposent, un Ancien qui ressusciterait ne la reconnaîtrait. Et c’est dommage. Cependant, les contre-sens que nous faisons loyalement à propos d’elle, et qui ont altéré son image, l’ont