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de tout jeune homme amoureux, et un critique, en les lisant, se borne à demander à l’auteur « quand il aura fini d’écrire des noms de femmes sur l’écorce de tous les arbres. » Ce sont en effet des sonnets, de courts poèmes d’amour, d’un sentiment qui ne semble pas dépasser l’épiderme, et qui ne se meuvent guère que dans le domaine du flirt, entre le caprice et le dépit ; ils ne mériteraient par eux-mêmes nulle attention, si ces choses un peu mièvres ne revêtaient presque toujours une expression d’art, une valeur de style et d’images qui malheureusement les rend intraduisibles. Il faut décidément renoncer à traduire ce qui fait d’un vers comme celui-ci :


Astonishment is no more in hand or shoulder,


je ne sais quoi de grave et de définitif, l’expression du désenchantement qui suit la satiété, lorsqu’un corps bien-aimé apparaît brusquement dépouillé de la magie que l’amour prêtait à chacun de ses gestes et de ses attitudes. Peu de poètes anglais avaient eu un tel sens du pouvoir de la forme. Certaines pièces familières, sur un intérieur à l’heure du thé, par exemple, recevaient de ce pouvoir le charme que nous trouvons à certaines toiles impressionnistes. Mais quelques autres, sept ou huit, concentraient l’essence la plus « moderne » de cette poésie d’une manière presque irritante et presque désagréable. Qu’on lise le morceau intitulé Jalousie, ou le sonnet de Volupté, on sera frappé par une expression brutale des réalités de l’amour, qui aurait fait scandale il y a quelques années et paru impossible dans la littérature anglaise. De tels poèmes, comparables pour l’effet à certaines pièces de Baudelaire (encore que l’auteur paraisse connaître assez peu le poète des Fleurs du mal) font mesurer le chemin que l’esprit de nos voisins a parcouru depuis le temps de Victoria, et depuis le moment où les livres anglais jouissaient de cette réputation qui permettait aux mères de les mettre sans crainte entre les mains de leurs filles.

Sans doute quelques-uns de ces morceaux, comme le sonnet du Pas-de-Calais, où il est question d’un amour combattu par le mal de mer, ne semblent pas exempts d’une nuance d’espièglerie. L’auteur déclare pourtant que le point de départ en est sérieux, et que « le mal de mer est aussi respectable que la fièvre cérébrale. » Il rappelle certains faits vulgaires qui contiennent parfois toute une tragédie ; il rappelle les