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commerce. Au point de vue des principes étatistes rien d’aussi radical n’a été proposé à un Parlement. Jamais l’« ego norninor leo » de la fable n’a été posé avec une telle netteté.

Un seul motif justifierait ce « fait du prince. » Ce serait la preuve de l’inaptitude de l’industrie libre à reconstituer elle-même le tonnage qu’elle a perdu. Mais l’auteur du projet a dû constater lui-même que les armateurs avaient en commande ferme 1 015 000 tonnes de bateaux dont 491 000 de paquebots et mixtes et 524 000 tonnes de cargos ou divers, c’est-à-dire plus qu’il ne leur en a été détruit. Comme il était juste, l’armement français n’a pas attendu que l’Etat lui rendit les navires torpillés à son service, et il s’est mis à réparer lui-même les brèches creusées dans le tonnage national. Ce que les armateurs viennent de faire au sortir de la guerre, ils l’avaient déjà réalisé dans les années qui ont précédé les hostilités. Du 31 décembre 1910 au mois de juin 1914, la France augmentait sa flotte de 35 p. 100, tandis que l’Angleterre n’augmentait la sienne que de 9 p. 100, que la Norvège, l’Allemagne et l’Italie ne l’avaient pas accrue de plus de 29 p. 100. A la fin de l’année 1900, la France possédait une flotte de vapeurs de 527 000 tonnes net ; au 30 juin 1914, elle avait porté la dite flotte à 1 098 000 tonnes net, soit un accroissement de 570 000 tonnes net, représentant 108 p. 100, proportion la plus forte qui ait jamais été enregistrée.

Voilà ce qu’accomplissaient nos Compagnies de navigation quand l’Etat ne leur faisait point concurrence. Est-il raisonnable qu’on vienne maintenant les paralyser ? Les armateurs, avons-nous dit, ont passé en commande ferme 1 015 000 tonnes de bâtiments1. Ils seraient prêts à en commander bien d’autres, si les prix qu’on leur imposait n’étaient pas prohibitifs. Déjà, ils ont accepté des navires anglais, parmi lesquels on compte de vieux rossignols, et même des bateaux en bois, dont le prix de revient est beaucoup plus élevé que celui qui est appliqué aux armateurs anglais. On ne peut trouver mauvais qu’ils aient décliné les offres américaines, devant l’impossibilité où ils étaient de les accepter telles qu’elles leur ont été présentées. Devant ces faits, comment prétendre que nos Compagnies ne sont pas en mesure de nous donner la flotte dont nous avons besoin ?

On peut s’étonner, dans ces conditions, que la demande