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celle de l’Angleterre, n’a pas d’autre but que de légitimer l’intervention de l’Etat dans ce domaine. En outre, si la flotte d’Etat doit assurer les services entre la France et ses colonies, le Levant, l’Extrême-Orient et l’Amérique, le projet signifie en fait le monopole de l’État, C’est pourquoi la Chambre de commerce de Marseille a adopté des conclusions opposées au vœu de M. Bouisson. Des avis analogues furent émis par la Section de Madagascar de l’Union coloniale, par le Comité du commerce, de l’industrie et de l’agriculture de l’Indo-Chine. Il semblait qu’avec le départ de M. Bouisson dût s’évanouir le rêve d’une flotte d’État ; il n’en a rien été. Le ministre des Travaux publics, M. Claveille, a, en effet, déposé sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet l’engagement de crédits se montant à l 830 millions destinés à la reconstitution du tonnage marchand. Ce projet n’apportait aucun argument nouveau à la thèse soutenue par M. Bouisson ; il se bornait à indiquer le déficit de notre tonnage, prouvé par des chiffres impressionnants, qui ne sont malheureusement que trop connus. Avant la guerre, 23 pour 100 seulement de nos exportations rentraient sous pavillon français, et les trois quarts des marchandises à destination de la France transitaient sous pavillon étranger. Or, 56 pour 100 du poids de nos importations et 70 pour 100 de leur valeur totale venaient par mer ; s’il fallait faire le calcul de leur pourcentage par tonne-mille, celui-ci serait considérable. C’est dire le tribut que nous payons à l’étranger. Il est indispensable de faire cesser cette servitude. Mais à quelles mesures le gouvernement compte-t-il recourir pour y arriver ?


II. — LE MONOPOLE DE CONSTRUCTION

Dans le discours qu’il a prononcé au Sénat le 24 juillet, le Ministre des Travaux publics a déclaré : « Je vous demanderai de m’autoriser à commander aux ateliers français la totalité de leur production pendant trois ans, si, comme je l’espère, les prix sont raisonnables. » Voilà un fait d’une gravité exceptionnelle. L’Etat s’arroge le droit d’accaparer tous les moyens de production du pays ; il se pose en concurrent de ses propres armateurs ; il leur ferme la porte de tous les chantiers où ils pourraient trouver l’outillage indispensable à la prospérité de leur